Aller au contenu

Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a produit et élaboré en lui-même, l’homme voulût aussi le garder enfermé en lui. Dans la constante réciprocité d’action et réaction, non seulement pratique mais aussi intellectuelle, par laquelle il se trouve uni aux autres êtres de son espèce, il est tenu d’extérioriser et communiquer tout ce qui est en lui, et plus violemment une chose l’émeut, plus intimement elle pénètre son être, plus vigoureusement agira en lui le désir instinctif d’en voir la force se manifester chez d’autres aussi, pour se légitimer à ses propres yeux, en se prouvant qu’il ne lui est rien arrivé que d’humain. Vous voyez qu’il n’est pas du tout question ici de la tendance à rendre d’autres êtres semblables à nous ou à croire que tout ce qui est en nous est indispensable à tous ; il ne s’agit que de prendre conscience du rapport entre les événements qui se passent en nous et la nature de ce qui est commun à l’humanité.

Or l’objet le plus propre de ce besoin de communication[1] est incontestablement ce au sujet de quoi l’homme se sent originellement passif : ses intuitions et ses sentiments ; à leur sujet, il se sent pressé de savoir [178] si ce n’est pas à une puissance étrangère et indigne qu’il est contraint de céder[2]. C’est pourquoi nous le voyons occupé dès l’enfance à communiquer surtout ses intuitions et ses sentiments. Il laisse plus volontiers reposer sur eux-mêmes ses concepts, dont l’origine d’ailleurs ne peut soulever en lui aucun scrupule[3]. Mais ce qui pénètre en lui par ses sens, ce qui excite ses sentiments, pour cela il veut avoir des témoins, il veut avoir des coparticipants. Comment dès lors garderait-il pour lui ceux précisément des effets produits en lui par l’Univers qui lui apparaissent comme ce qu’il ressent de plus grand, de plus irrésistible ? Comment voudrait-il retenir en lui précisément ce qui le fait le plus sortir de lui-même, et l’imprègne plus que toute autre chose du sentiment qu’il ne peut pas apprendre à se connaître en ne tenant compte que de lui seul. Son premier élan est bien plutôt, quand une vue religieuse est devenue claire pour lui, ou quand un sentiment pieux pénètre son âme, de signaler cela à

  1. Ce déterminatif est une adjonction de C.
  2. B : si ce n’est pas une puissance… qui les a fait naître en lui.
  3. Bedenken.