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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/240

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d’autres aussi, et de propager en eux les vibrations de son esprit[1]. L’homme religieux est donc dans la nécessité de parler, poussé par sa nature.

La même nature lui procure aussi des auditeurs. Aucun genre de pensée ou de sentiment ne donne à l’homme l’impression de sa complète impuissance à [179] jamais en épuiser l’objet, autant que le fait la religion. Son sens pour celle-ci n’est pas plus tôt éveillé qu’il sent son infini à elle, et ses limites à lui ; il a conscience de n’embrasser d’elle qu’une petite partie, et ce qu’il n’en peut pas atteindre directement, il veut du moins en avoir connaissance par un médium étranger. C’est pourquoi toute extériorisation de la religion l’intéresse, et, cherchant ce qui le compléterait lui-même, il est à l’écoute de tout accent dans lequel il reconnaît celui qui la distingue. C’est ainsi que s’organise une communication réciproque. C’est ainsi que parler et écouter est également indispensable à chacun. Mais la communication religieuse n’est pas à chercher dans des livres comme ce peut être le cas pour d’autres concepts et pour l’acquisition d’autres connaissances[2]. Trop de l’impression originelle se perd en effet en traversant ce médium, dans lequel disparaît, englouti, tout ce qui ne s’adapte pas à l’uniformité des signes, d’où l’originel a à ressurgir ; dans ce domaine, tout aurait besoin d’être exposé deux ou trois fois, vu que le premier exposé devrait faire l’objet d’un second et nouveau, et que malgré cela, en raison de sa grande unité, cette action exercée sur la nature entière de l’homme ne pourrait être que mal reproduite par la réflexion et ses opérations multipliées. C’est seulement si[3] elle est expulsée de la société des vivants que la religion est contrainte de cacher sa vie, sa multiple vie, dans la lettre [180] morte.

D’autre part, ce commerce avec ce qu’il y a de plus intime dans l’homme ne peut pas être pratiqué par le moyen de la conversation ordinaire. Beaucoup de ceux mêmes qui sont pleins de bonne volonté à l’égard de la

  1. Gemüt.
  2. Dans la longue note no 1 de 1821, Schleiermacher donne son avis sur la valeur relative de la transmission par écrit et de la communication orale directe en matière religieuse.
  3. Ou : « quand » wenn.