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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/247

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qui la religion, à la prendre dans le sens le plus général, est encore étrangère ? Elle ne peut pourtant pas, même elle, leur communiquer ce qui est le bien propre de la religion, le Tout infini. Ce qu’elle pourrait leur communiquer, ce serait donc comme qui dirait le général, l’indéterminé, qu’on obtiendrait peut-être comme résultat si l’on sélectionnait ce qui peut éventuellement [189] se rencontrer chez tous ses membres ? Mais vous le savez bien, rien ne peut nulle part être vraiment donné et communiqué sous la forme du général et de l’indéterminé ; c’est possible seulement en tant que particularité et sous une forme parfaitement déterminée, parce que sans cela ce ne serait pas quelque chose, en fait, cela ne serait rien du tout.

La société religieuse ne disposerait donc dans cette entreprise d’aucune unité de mesure, d’aucune règle. Et comment, à prendre les choses de plus haut, en viendraitelle à sortir d’elle-même, alors que le besoin d’où elle est née, le principe de l’esprit de société religieux, ne suggère rien de ce genre. Par conséquent, ce qui se produit de semblable dans la religion n’est jamais qu’affaire privée de l’individu, qui le concerne lui. Contraint de se retirer du cercle de la société religieuse où l’intuition de l’Univers qui dispense la jouissance la plus sublime, et où, pénétré de sentiments sacrés, son esprit plane sur la cime la plus haute de la vie, pour se replier dans les régions inférieures de l’existence, sa consolation est de pouvoir rapporter tout ce dont il doit s’occuper là à ce qui reste toujours pour son esprit le bien suprême. Quand il tombe ainsi parmi ceux qui se bornent à des visées et à une activité terrestres, il se croit facilement, et [190] vous devez le lui pardonner, déchu, du monde où l’on commerce avec les dieux et les muses, dans celui d’une race de barbares incultes. Il a le sentiment alors d’être un gérant de la religion parmi les incroyants, un missionnaire parmi les sauvages ; nouvel Orphée, il espère gagner quelques-uns de ceux-ci par des accents célestes, et se présente parmi eux comme un prêtre, manifestant avec une lumineuse clarté dans tous ses actes et tout son être la supériorité de son sens. Si alors l’impression du sacré et du divin éveille chez ceux à qui il la donne quelque chose de semblable,