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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/246

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rale, et par le fait même qu’ils la voient, ils l’instituent aussi. Chacun n’est en contact qu’avec son plus proche voisin, mais il a un voisin de tous les côtés et dans toutes les directions ; par suite il est en fait inséparablement lié avec l’ensemble total. Mystiques et physiciens en religion, théistes et panthéistes, ceux qui se sont élevés à la vue systématique de l’Univers, et ceux qui ne le voient encore intuitivement que dans ses éléments ou dans un obscur chaos[1], tous doivent cependant ne former qu’une seule unité, un seul lien les enserre tous, et ce n’est que par la violence et l’arbitraire qu’ils peuvent être séparés. Toute communauté distincte n’est qu’une partie fluente et intégrante de l’ensemble, dans lequel elle se perd en contours imprécis, et c’est ainsi seulement qu’elle a connaissance de soi.

Où donc est l’effrénée manie tant décriée d’opérer des conversions pour amener à certaines formes déterminées [188] de la religion ? Où donc est-elle, la terrible maxime : hors de nous, pas de salut ? La société religieuse telle que je vous l’ai dépeinte, et telle que sa nature veut qu’elle soit, ne tend qu’à être un organe de mutuelle communication ; elle n’existe qu’entre hommes qui ont déjà de la religion, quelle que soit celle-ci. Comment par conséquent cela pourrait-il être leur affaire de retourner l’esprit de ceux qui en professent déjà une déterminée, ou d’amener et d’initier à la leur ceux qui en manquent encore complètement ? La religion de cette société, prise dans son ensemble, est la religion totale, infinie, qu’aucun individu ne peut embrasser tout entière, et à laquelle par conséquent aussi personne ne se laisse former et hausser. Si donc quelqu’un en a déjà choisi pour lui une partie, quelle qu’elle soit, ne serait-ce pas de la part de la société un procédé absurde si elle voulait lui arracher ce qui est conforme à sa nature, à lui, alors qu’elle doit nécessairement contenir en elle cette partie aussi, et que par conséquent un de ses membres doit nécessairement la posséder[2] ? Et à quoi devrait-elle vouloir former ceux à

  1. Sur cette distinction, cf. 126-7, 129-30, 240, 255.
  2. Toujours l’idée de la nécessité d’un nombre aussi grand que possible de représentations diverses finies de l’Infini, dans l’intérêt d’une approximation aussi proche que possible de son impossible représentation totale.