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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/252

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lement ils comprennent mal tout l’effort né de cette aspiration. Car, quand les manifestations extérieures de la religion intérieure d’un homme ont réveillé en eux tous ces souvenirs, et que, affectés plus fortement par la convergence de ces impressions, ils continuent leur chemin, ils pensent avoir apaisé leur besoin, satisfait à la suggestion de la nature, et posséder à présent en eux-mêmes la religion. Celle-ci, pourtant, tout comme auparavant mais un plus haut degré encore, n’a été chez eux qu’un phénomène fugitif, d’origine extérieure. Ils restent toujours sous l’empire de cette illusion, parce qu’ils n’ont de la religion vraie et vivante [197] ni un concept ni une intuition, et dans le vain espoir de réussir enfin à faire ce qui convient, ils répètent mille fois la même opération, et restent cependant toujours là où, et ce que toujours ils ont été[1].

S’ils progressaient, et si sur cette voie la religion germait en eux, spontanément active et vivante, ils abandonneraient bientôt celle dont l’étroitesse et la passivité ne conviendraient alors plus à l’état dans lequel ils se trouveraient, et qu’ils ne pourraient plus supporter. Ils se chercheraient tout au moins à côté d’elle un autre cercle, où leur religion pourrait aussi se montrer active et agir au dehors, et qui ne pourrait pas ne pas devenir bientôt leur œuvre principale et l’objet de leur amour exclusif. C’est ainsi que l’Église devient, en fait, d’autant plus indifférente aux hommes qu’ils grandissent davantage en religion, et les plus pieux se séparent d’elle fièrement et froidement. En réalité, rien ne peut être plus évident : on ne fait partie de cette société, on n’y reste, qu’aussi longtemps qu’on n’a pas de religion[2].

Le même fait ressort de la façon dont les membres de l’Église eux-mêmes traitent pratiquement la religion. Car, en admettant même qu’une communication unila-

  1. La note no 10 de 1821 reconnaît ce que ce jugement a d’excessif dans sa sévérité.
  2. Dans le commentaire no 11 de 1821, Schleiermacher note que ce passage est celui où se formule le plus nettement la distinction qu’il fait entre l’Église véritable telle qu’il la conçoit et les Églises réelles. Il juge donc nécessaire de préciser assez longuement son opinion à ce sujet. Le plus intéressant me semble qu’il reconnaît que cette Église véritable ne peut être réalisée dans aucune Église positive : elle ne pourrait l’être que dans la paisible union cosmopolite de toutes les Églises existantes. Cette utopie me paraît de nature à confirmer l’observation formulée p. 192, note 30.