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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/253

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térale et un état de volontaire passivité et aliénation de soi-même soient possibles entre hommes vraiment religieux, [198] dans l’activité qu’ils exercent en commun règne toujours au surplus la plus grande insanité et la plus grande ignorance de la chose. Si les membres de l’Église s’entendaient à la religion, l’essentiel ne serait-il pas à leurs yeux que celui dont ils ont fait l’organe de la religion pour eux leur communiquât ses intuitions et ses sentiments les plus individuels les plus clairs ? Mais ce n’est pas là ce qu’ils désirent. Tout au contraire, ils posent de tous les côtés des bornes aux manifestations de son individualité, et demandent qu’il leur mette en lumière surtout des concepts, des opinions, des dogmes, en un mot, au lieu des véritables éléments de la religion, les abstractions qu’on en dégage. S’ils s’entendaient à la religion, ils sauraient, leur propre sentiment le leur disant, que ces actes symboliques, dont j’ai dit qu’ils sont essentiels au véritable esprit de société religieux, ne peuvent, en raison de leur nature, être que des signes de l’égalité du résultat produit chez tous, que des indices du retour au centre commun, que le chœur final le plus unanime après tout ce que des isolés ont communiqué purement et avec art ; mais de cela ils ne savent rien, ces actes sont pour eux choses qui existent en soi et pour soi, et qui se passent à des moments déterminés[1].

Qu’est-ce qui ressort de cela, [199] sinon le fait que l’activité qu’ils exercent en commun n’a rien en elle de ce caractère de haut et libre enthousiasme qui est absolument le propre de la religion, qu’elle est quelque chose de scolaire, de mécanique. Et qu’est-ce que ce fait indique à son tour, sinon qu’ils voudraient recevoir une religion qui leur serait transmise du dehors. C’est ce qu’ils essaient de toutes les manières. C’est pourquoi ils s’attachent tant aux concepts morts, aux résultats de la réflexion sur la religion ; ils s’en imprègnent avec avidité, dans l’espoir que ces résultats feront en eux le chemin inverse de leur propre genèse, et se retransformeront en intuitions et sentiments vivants, comme ceux dont ils ont originairement été dégagés. C’est pourquoi ils emploient les actes

  1. Le commentaire no 12 de 1821 précise qu’il s’agit de la cène et de la profession de foi ; cf. p. 225, note 69.