Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/258

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d’un côté où il n’avait pas encore été saisi, gagne aussi à la religion quelques esprits pour lesquels ce point précisément était le seul par lequel ils pouvaient être introduits dans ce monde nouveau et infini, et, pour la plupart d’entre ceux-là, cette intuition précisément reste naturellement le centre de leur religion ; ils forment autour de leur maître une école à part, un fragment [206] distinct de l’Église véritable et générale, qui se développe d’abord tranquillement et lentement, en vue de sa réunion en esprit avec le grand ensemble de cette Église. Mais avant que cette réunion s’effectue, il arrive habituellement qu’une fois que leur esprit est entièrement pénétré et saturé de ces nouveaux sentiments, un violent besoin les saisit d’exprimer ce qui est en eux, pour ne pas être consumés par leur feu intérieur. Ainsi chacun d’eux proclame, où et comme il peut, le nouveau salut qui lui a été révélé ; à partir de n’importe quel objet ils trouvent la transition qui mène à l’Infini nouvellement découvert par eux ; chaque discours se transforme en un tableau de leur vue religieuse particulière, chaque conseil, chaque souhait, chaque parole amicale, en un éloge enthousiaste de la seule voie qu’ils connaissent conduisant à la félicité céleste[1]. Celui qui sait comment la religion agit trouve naturel qu’ils parlent tous : ils craindraient que sinon les pierres ne les prévinssent. Et celui qui sait comment agit un nouvel enthousiasme trouve naturel que ce feu vivant gagne violemment du terrain autour de lui, qu’il en consume quelques-uns, qu’il en réchauffe beaucoup, et communique à des milliers la fausse et superficielle apparence d’une flamme intérieure.

Or ces milliers sont précisément la cause de la perdition, car la juvénile ardeur des nouveaux [207] saints prend ces milliers aussi pour de vrais frères ; leur sainteté n’est que trop prompte à prononcer : « Qu’est-ce qui empêche que ceux-là aussi reçoivent l’esprit saint ? » Et les milliers se prennent pour tels, et se laissent introduire en joyeux triomphe dans le sein de la pieuse société. Mais quand la griserie du premier enthousiasme est tombée, quand la surface enflammée a fini de brûler, alors

  1. Texte de B ; A disait : « au Temple de la religion ».