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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/263

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comment ne triompheraient-ils pas des autres ? Qui, par conséquent, est responsable, si des indignes usurpent la place des virtuoses de la sainteté[1] et si sous leur contrôle peut s’insinuer et s’implanter tout ce qui est le plus contraire à l’esprit de la religion ? Qui, sinon l’État avec sa générosité [214] mal comprise ?

Mais l’État est de façon plus directe encore cause que le lien entre la véritable Église et la société religieuse extérieure s’est relâché. Car après avoir imparti à la dernière ce funeste bienfait, il s’imagina avoir un droit à sa reconnaissance active, et l’investit de trois missions de la plus haute importance au service de son intérêt à lui. Il a plus ou moins, transmis à l’Église, le soin et le contrôle de l’éducation, il veut que ce soit sous les auspices de la religion, dans le cadre que forme une communauté religieuse, que le peuple soit instruit des devoirs qui ne ressortissent pas aux lois civiles, et endoctriné en vue d’adopter des sentiments nouveaux ; il exige de la force de la religion, et des enseignements de l’Église, qu’elle lui forme des citoyens, véridiques dans leurs déclarations[2]. Et en récompense de ces services qu’il réclame, il la spolie — il en est ainsi dans toutes les parties presque du monde civilisé où il y a un État et une Église — de sa liberté, il la traite comme une institution qu’il a établie et inventée, et il est bien vrai que les fautes et les abus en sont presque tous de son invention à lui ; lui seul s’arroge le droit, de décider qui est apte à jouer dans cette société le rôle de modèle et de prêtre de la religion. [215] Et malgré tout cela, si ces derniers ne sont pas tous de saintes âmes, c’est à la religion que vous voulez en demander compte ?

Mais je ne suis pas encore au bout de mes accusations. L’État fait intervenir son intérêt jusque dans les mystères les plus intimes de l’esprit de société religieux, et le salit. Quand l’Église, dans un esprit de recueillement prophétique, voue les nouveau-nés à la divinité et à l’aspiration vers ce qu’il y a de plus haut, il veut du même coup les

  1. B : de ceux qui sont mûrs en sainteté.
  2. La note 18 de 1821 discute assez longuement, dans un esprit un peu plus disposé à observer certaines nuances, mais toujours très restrictif à l’égard de l’État, le problème des rapports entre celui-ci et l’Église, dans les trois, domaines de l’instruction scolaire, de l’éducation civique, et du serment.