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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/274

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entre eux[1] apprendra à saisir intuitivement l’Univers dans ce petit domicile caché, qui deviendra un sanctuaire sacro-saint, ou plus d’un reçoit le sacrement de la religion. Ce sacerdoce a été le premier, à l’âge saintement enfantin du monde primitif ; il sera le dernier, quand plus ne sera besoin d’un autre.

Oui, nous attendons, à la fin de notre civilisation artificielle, une époque où il ne sera pas besoin pour la religion d’une autre société préparatoire que la vie de famille pieuse. À l’heure présente, des milliers d’êtres humains des deux sexes et de toutes classes soupirent sous le poids oppressif de travaux mécaniques et indignes. La vieille génération succombe sans courage, et, avec une inertie excusable, elle abandonne la jeune au hasard [231] presque en toutes choses, sauf en ceci, que cette jeunesse doit tout de suite imiter et apprendre le même abaissement, c’est la raison pour laquelle cette dernière n’acquiert pas le regard libre et ouvert qui permet seul de trouver l’Univers.

Le plus grand obstacle de la religion est que nous sommes astreints à être nos propres esclaves, car, est esclave quiconque est astreint d’exécuter quelque chose qui devrait pouvoir être fait par des forces mortes. Nous attendons du perfectionnement des sciences et des arts qu’il mettra ces forces mortes à notre service, qu’il transformera le monde corporel, et tout ce qui se laisse gouverner du spirituel, en un palais de fées, où le dieu de la terre n’a qu’un mot magique à prononcer, qu’à faire agir un ressort, pour qu’arrive ce qu’il ordonne. C’est alors seulement que tout homme sera un être né libre, que toute vie sera pratique et contemplative à la fois ; sur personne ne se lèvera le bâton du contremaître[2] et chacun jouira du calme et des loisirs nécessaires pour contempler en lui-même le monde. C’est seulement pour les malheureux à qui cela manquait, dont les organes étaient privés des forces que leurs muscles devaient constamment employer au service du maître, qu’il était nécessaire que quelques heu-

  1. Manche von ihnen und unter ihnen.
  2. Treiber, substantif auquel se rapporte, dans la phrase suivante, le possessif sein qui détermine « service », et qu’il faut interpréter, la traduction littérale donnerait un texte incompréhensible. Au sujet du sentiment exprimé ici, cf. p. 79.