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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/28

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aussi les raisons pour lesquelles il se croit appelé à se faire, lui, l’avocat de cette cause.

S’adressant, bien entendu sans les définir nommément, à ses amis romantiques, qui sont, comme nous le savons, les « esprits cultivés » qu’il vise, il leur dit en substance (p. 1-3) : vous vous êtes fait une vie d’ici-bas si riche et diverse que vous ne jugez pas avoir à chercher au-delà, à penser à ce qui a créé ce monde et vous-mêmes. Il emploie l’expression « ce qui », non « celui qui ». Cependant, il vient de parler de « l’Être éternel et saint qui existe pour vous par delà le monde » ; il entend donc bien parler de Dieu, mais, par scrupule sans doute, pour ne pas paraître adhérer à une conception anthropomorphique qu’il rejette, il évite ici, comme il fera le plus souvent dans ces Discours, le nom que lui donnent les chrétiens, et le remplace… nous verrons par quels termes.

Qu’est-ce qui enrichit et diversifie la vie de ces romantiques, au point de la leur faire juger tout à fait suffisante en elle-même ? Qu’est-ce qui constitue cette « culture de l’esprit », dans laquelle ils trouvent une entière satisfaction ? Ce sont, énumère leur ami, les sentences des sages — donc, la philosophie — l’humanité et la patrie, l’art et la science.

Après la philosophie, place égale est donc faite, dès ici, à deux des réalités qui sont l’objet, pour l’homme, de l’intérêt le plus généralement et le plus normalement sentimental et moral : l’humanité et la patrie. Il est à noter que, dans l’édition de 1821, Menschheit va être remplacé par Menschlichkeit, qui exprime à peu près la même idée, et Vaterland, patrie, par Geselligkeit, sociabilité. Cette dernière modification est curieuse, et intéressante à un double titre. En effet, le mot « patrie », venu sous sa plume en 1799, témoigne que, dès ce moment Schleiermacher est disposé à accorder aux sentiments patriotiques, nationaux, une place dans la sensibilité des gens éclairés. Cette disposition apparaît très peu dans les Discours. Elle ne se manifeste, p. 16-18, que dans les jugements sévères sur les Anglais et les Français, et dans la conviction que l’Allemagne est désignée, par la supériorité de sa vie spirituelle, pour être le berceau d’une rénovation religieuse. Dans les années 1806 à 1815, Schleiermacher tiendra le langage et aura l’activité d’un fervent patriote ; il restera un bon Allemand dans la