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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/29

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période de paix qui suivra. Il est donc singulier qu’en 1821, il élimine de son énumération la notion de patrie. Et d’autre part, il est intéressant d’y voir substituée celle de sociabilité. L’auteur doit avoir senti, en se relisant, l’importance de ce dernier facteur, grande en effet, comme nous le verrons, dans la religion telle qu’il la conçoit et dans l’esprit qui lui était commun avec ses amis romantiques.

Leur mot d’ordre est sumphilosophieren, philosopher en commun, sumdichten, s’adonner à la poésie en commun. Nous aurons à revenir sur cet aspect du caractère et de la religion du jeune romantique dans le commentaire du quatrième discours, qui, par son titre même, rattache les idées « sur l’Église et le clergé » à des considérations sur « l’esprit de société dans la religion ».

Mais le plus notable, dans cette énumération des biens qui constituent la richesse jugée suffisante par et pour les esprits cultivés, ce sont les deux derniers : l’art et la science. Ces romantiques en effet, de même que les grands classiques leurs contemporains, se font, des sciences et des arts, une idée qui les dispose à voir là un substitut possible de la religion.

Les sciences ont, d’après eux, pour objet de remonter du particulier au général, qui en est la loi ou la cause, du fini à l’infini qui en est le principe. L’art a pour mission de rendre sensible le général dans le particulier, l’infini dans le fini qui en est la manifestation. Que l’on identifie, ainsi qu’ils le font et comme il est assez naturel de le faire, le général, cause première, avec l’absolu, et l’infini avec le divin, on établit entre sciences et arts d’une part, religion de l’autre, le rapport qui a permis à Goethe de formuler cette maxime de beaucoup d’intellectuels : « Celui qui possède science et art a aussi de la religion », avec le corollaire, trop souvent escamoté : « Celui qui ne les possède pas tous deux, qu’il ait de la religion. » Ce respect enthousiaste de la culture humaine, progressant grâce à la science et aux arts, sera un des sentiments inspirateurs des Discours. Il y a lieu de remarquer qu’il honore deux des activités les plus désintéressées de l’esprit, et s’oppose ainsi radicalement au matérialisme. De plus, il honore deux des produits les plus précieux de la civilisation, et s’oppose ainsi, non moins radicalement, à la doctrine rétrograde de Rousseau et de