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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/30

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son retour à la nature. Nous verrons quelle est la sage attitude du quiétisme de Schleiermacher à l’égard de la croyance à la bonté naturelle de l’homme.

Le jeune théologien honore lui aussi ces agents de la civilisation. Ils ne lui paraissent cependant pas suffisants, loin de là. Le but principal de son « apologie » est de démontrer que, par delà les sciences et les arts, un culte plus directement et plus spécialement affecté à l’Infini, à l’Absolu, au Divin, à ce qu’il va célébrer à présent sous le nom d’ « Univers », ce qu’il célébrera de plus en plus sous le nom de Dieu, est le complément suprême, nécessaire, de la culture de l’esprit, de la vie humaine, et que là est la fonction propre, l’office spécifique de la religion. C’est ce que ses amis lui paraissent ignorer. Il ne leur suppose pas d’hostilité, de mépris à l’égard de la religion. Il leur prête plutôt l’indifférence pratiquée à son sujet par ceux qui estiment en posséder l’équivalent, et donc pouvoir se passer d’elle. Il va leur parler en homme pour qui elle est au contraire la grande affaire de l’existence humaine, le véritable objet, d’importance suprême et vitale, de l’esprit humain.

Il n’a pas à apprendre à ses amis, mais il ne dissimule pas à ses autres lecteurs — nous rappelons que ces Discours paraissent anonymes — qu’il est un homme d’Église. La façon dont il le dit est d’ailleurs assez détournée. Je reconnais devant vous que je suis moi aussi un membre de cet ordre (p. 4). Orden, employé au sens où l’on parle de l’ordre des Templiers ou des Chevaliers teutoniques, se rapporte à clergé dans une acception si vague, que le lecteur non prévenu peut se demander ce que le mot signifie ici. Le pasteur s’empresse d’ajouter que son langage n’aurait pas révélé sa vocation, car il ne s’accorde guère avec celui de ses collègues. Cela est tout à fait exact. Nous aurons bien des occasions de le constater. En voici une première.

Pour désigner ces professionnels de la religion, les ecclésiastiques, Schleiermacher emploie dès la page 3 un terme qui paraîtra quinze fois dans ces Discours et qu’il vaut la peine de relever, le mot « virtuose » der Virtuose. Un virtuose, au sens qu’a généralement ce dérivé de vertu, c’est un amateur, dont la facilité naturelle ou acquise se fait admirer par ce qu’elle a de brillant. La virtuosité se distingue du génie, et du talent, par quelque chose de plus extérieur,