Aller au contenu

Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ses adeptes ne pourraient parvenir à cette dernière que si une puissance les saisissait, plus forte que toutes les précédentes, et d’une autre manière. Tout ce que je peux reconnaître en eux, ce sont les obscurs pressentiments, précurseurs de l’intuition vivante qui ouvre à l’homme sa vie religieuse. Il y a certaines émotions et représentations obscures qui n’ont aucun lien avec la personnalité d’un homme, qui ne font pour ainsi dire qu’en remplir les intervalles, et sont chez tous uniformément les mêmes : telle est la religion de ces gens. Tout au plus est-elle religion naturelle [277] au sens où, parlant de philosophie naturelle ou de poésie naturelle, on applique cette épithète aux manifestations de l’instinct brut, pour les distinguer de l’art et de la culture. Mais ils ne sont pas, eux, dans l’attente de quelque chose de meilleur, qu’ils estimeraient supérieur, avec le sentiment de ne pas pouvoir y atteindre : non, ils s’y opposent au contraire de toutes leurs forces.

L’essence de la religion naturelle, c’est vraiment bien la négation de tout élément positif et caractéristique en matière de religion, et la polémique la plus violente contre ces éléments. C’est pourquoi aussi elle est le digne produit de l’époque dont le dada a été une manie de pitoyable généralisation et d’indigente sobriété, qui sont ce qui en toutes choses fait le plus obstacle à la vraie culture. Il y a deux choses qu’ils haïssent par-dessus tout : ils ne veulent en rien partir d’un fait extraordinaire et incompréhensible, et, quoi qu’ils soient et fassent, rien ne doit avoir une sorte d’avant-goût d’école. C’est la corruption que vous constatez dans tous les arts et toutes les sciences ; elle a pénétré aussi dans la religion, et le produit en est cette chose sans fond ni forme. Ses adeptes voudraient être en religion des autochtones et autodidactes, mais ils n’en ont que ce qu’il y a chez ceux-là de [278] brut et inculte : produire chose qui ait son caractère propre, ils n’en ont ni la force ni la volonté. Ils se hérissent contre toute religion déterminée, existante, parce qu’elle est en même temps une école ; mais s’il était possible que survînt quelque chose en eux par quoi une religion proprement dite voudrait en eux prendre forme, ils se dresseraient tout aussi violemment contre, parce qu’une école pourrait