Aller au contenu

Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nement, et qui porte sur la réalité véritable, cachée, essentielle, non sur une abstraction, pas plus que sur l’apparence sensible. Selon qu’il s’agit d’un acte ou d’un état d’esprit plus ou moins bref, on pout traduire le substantif par « intuition » ou « contemplation intuitive », le verbe par « saisir » ou « contempler » intuitivement.

Mais comment cette intuition se produit-elle ? Consiste-t-elle à saisir directement cet Infini, ce Divin, en lui-même ? Pour que ce fût possible, il faudrait entre autres conditions que ce principe, Dieu, eût une existence distincte du monde, et perceptible. Or, il n’en est rien aux yeux de Schleiermacher. Pour lui comme pour ses amis romantiques, l’Infini, quel qu’il soit, n’a d’existence que dans le fini, l’Éternel que dans l’éphémère, l’Absolu que dans le relatif. Dieu n’existe que dans l’Univers qui est la manifestation de sa puissance de création infinie, et par conséquent, en elle-même insaisissable, inconnaissable, ineffable.

C’est donc dans le contact de l’homme avec le monde connaissable que cette intuition se produit. Consiste-t-elle à saisir ce monde dans son ensemble, dans sa totalité et son unité ? Elle tend à cette vision d’ensemble, totale et une. Schleiermacher va montrer, pages 78-108, comment elle s’y achemine.

La nature extérieure à l’homme, que tant d’humains considèrent comme le temple de la divinité, le sanctuaire de la religion, n’en est d’après lui que le parvis. Les impressions qui naissent des grands spectacles qu’elle offre, orages foudroyants, océan déchaîné, invitent à chercher la cause de ces phénomènes, et conduisent ainsi à la science, à la philosophie, plutôt qu’à la religion. Les charmantes beautés de la nature ne sont que des parures éphémères, adventices, on ne saurait y saisir une réalité absolue. Les massifs montagneux immenses, les espaces à perte de vue, ne sont pas vraiment l’Infini et ne peuvent pas en donner l’intuition.

Ce qui, dans la nature, peut éveiller le sens religieux, ce sont plutôt les lois, avec leur universalité, l’ordre qui s’y manifeste, et l’unité divine dont il témoigne. Cependant, cette régularité peut sembler monotone, et le romantique méprise la monotonie ; elle peut ne donner l’impression que d’une puissance de création limitée. Ce qui fait naître celle d’une puissance illimitée, toujours jaillissante, toujours