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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/63

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contenter cet instinct dans la religion même, comme on laissait faire autrefois ceux pour qui Dieu, le Sauveur et les anges étaient comme une autre espèce de fées et de sylphes, pages 145-146 ; ici, dans la troisième édition, en 1821, Schleiermacher remplacera « Dieu » par le « Père céleste », expression qui évoque plus vivement l’imagerie des récits bibliques et des crèches de Noël ; l’éducation rationaliste, continue-t-il, a grand tort de combattre de telles dispositions, et de donner aux jeunes âmes, au lieu de cet aliment fantastique dont elles ont besoin, d’ennuyeuses leçons de morale pratique. Remarquons ici que la psychologie et la pédagogie actuelles donnent en grande partie raison sur ce point au romantique.

Il va développer sa critique du rationalisme, pages 146-149.

Il s’attaque d’abord au plat réalisme, pour lequel tout doit avoir son dessein et son but. Cette polémique contre l’utilitarisme terre-à-terre est un thème bien romantique. Il est développé en particulier avec une plaisante virtuosité par Fr. Schlegel dans sa Lucinde, chapitre XIII : « Agir à dessein, combiner les desseins en vue d’un nouveau dessein, est un défaut si enraciné dans l’homme que ce n’est qu’à dessein qu’il peut arriver à agir sans dessein. » Il est amusant d’opposer à ce texte celui de la Dramaturgie de Lessing, chapitre XXXIV, où le grand rationaliste développe l’idée que cette faculté d’agir avec dessein est précisément ce qui distingue et ennoblit l’homme. Mais ce n’est pas seulement à l’utilitarisme des plats rationalistes que le romantique s’en prend. Il attaque aussi leur méthode intellectuelle. Ils ont le tort de s’exercer seulement à expliquer l’enchaînement des choses dans le détail, d’analyser les corps, de décomposer les ensembles, au lieu qu’il importe de chercher quelle est la nature intime des choses, et de saisir les ensembles, pour s’élever au sentiment religieux de l’Univers. Les rationalistes appliquent leur méthode dissolvante à l’égard aussi de ce qui forme de soi-même un tout, c’est-à-dire, explique l’auteur, de ce qui, soit dans la nature, soit dans l’œuvre des hommes, présente un caractère artistique, page 149. Nous avons ici un des passages où affleure une idée goethéenne et romantique à laquelle Schleiermacher n’adhère qu’avec réserve, comme nous le verrons plus loin,