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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/73

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tiques sont en général à cette date trop peu sages pour en voir la nécessité. Ils sont portés à confondre entièrement religion et art, à sanctifier l’artiste comme à faire du saint un virtuose. Un de leurs premiers évangiles a été les Effusions de cœur d’un moine ami des arts, de Tieck et Wackenroder (1797). Leur philosophie générale les engage, c’est naturel, à ce rapprochement, à cette confusion même, de l’art et de la religion. La religion consiste en effet essentiellement, pour eux comme pour Schleiermacher, à relier directement l’individu avec le principe premier et dernier, par une intuition divinatoire de l’unité indéfinie de celui-ci à travers et dans la multiplicité des phénomènes finis, dans lesquels il se réalise et se manifeste. L’art de son côté a entre autres effets, à leurs yeux, comme à ceux des deux grands classiques leurs aînés, d’une part d’élever ceux qui en ont le vrai culte au-dessus de l’intérêt bassement égoïste pour la matière, comme l’ont confirmé Kant et Schiller, dans leurs précisions sur le plaisir désintéressé du beau, d’autre part de rendre plus manifeste le général dans le particulier, l’infini à travers le fini, la réalité sous l’apparence, de rendre sensible « l’essence des choses », suivant la définition que Goethe donne du style, dans les pages qu’il publie peu après son retour d’Italie, en février 1789, sous le titre Simple imitation de la nature, manière, style. Ils font du plaisir esthétique une sublimation, très voisine de l’enthousiasme scientifique et de l’exaltation religieuse.

Schleiermacher connaît, il partage en partie cette idéologie de ses amis. Sa confiance en eux l’invite à penser qu’il y a en effet une parenté étroite entre l’art et la religion. Il déclare, pages 166-169, admettre « que la contemplation d’œuvres d’art grandes et sublimes puisse plus que toute autre chose ouvrir le sens pour l’Univers, le Divin ». On voit qu’il s’agit de disposer à cette intuition plutôt que de la donner, ce qui est fort différent. De plus, ce remplacement est présenté comme une simple possibilité, et cette possibilité est réduite à bien peu de chances de généralisation par cette autre déclaration : « je n’ai jamais rien perçu d’une religion de l’art qui aurait dominé des peuples et des siècles ». Donc, l’expérience du passé lui paraît contraire à cette hypothèse. Enfin, cette hypothèse même n’est chez lui qu’une idée d’emprunt, presque une concession qu’il fait, et il la donne