Aller au contenu

Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ridicule. Mais ce n’est pas tout : ledit vêtement finira par le serrer et par l’incommoder beaucoup encore, et c’est le jury qui amènera tout d’abord ce résultat.

Cette institution, née dans la période la plus barbare du moyen Age anglais, au temps du roi Alfred le Grand, alors que la connaissance de la lecture et de l’écriture exemptait encore un homme de la peine de mort, est la pire de toutes les procédures criminelles. Au lieu de juges savants et expérimentés, qui ont vieilli à démêler journellement les mensonges et les ruses des assassins, voleurs et coquins de toute espèce, et sont ainsi capables d’aller au fond des choses, nous voyons siéger des tailleurs et des tanneurs ; c’est leur lourde et grossière intelligence, sans culture, pas même capable d’une attention soutenue, qui est appelée à démêler la vérité du tissu décevant de l’apparence et de l’erreur. Tout le temps, de plus, ils songent à leur drap et à leur cuir, aspirent à rentrer chez eux, et n’ont absolument aucune notion claire de la différence entre la probabilité et la certitude. C’est avec cette sorte de calcul des probabilités dans leurs têtes stupides, qu’ils décident en confiance de la vie des autres.

On peut leur appliquer ce que disait Samuel Johnson au sujet d’un conseil de guerre réuni pour une affaire importante, et auquel il se fiait peu : que peut-être pas un seul de ses membres n’avait jamais passé, dans le cours de sa vie, même une heure à peser en lui-même des probabilités[1] ! Mais les jurés en question, affirme--

  1. Boswell, Life of Johnson, année 1780, alors que son héros avait soixante et onze ans.