taine, était, extérieurement, un homme très sévère,
très fier, d’une culture toute scientifique ; intérieurement,
il était dominé par la sensibilité la plus vive.
La nature l’avait doué d’une force corporelle exceptionnelle.
Il était, en outre, l’égoïste le plus parfait
que j’aie jamais rencontré. Il n’avait qu’un but : jouir
à tout prix ; qu’une loi : se préserver, à force de ruse,
de toutes les suites fâcheuses de ses jouissances.
Quand le banquier était là, le prince venait souvent
dîner ou prendre le thé. Je n’avais pourtant jamais
remarqué qu’il eût la moindre liaison avec Roudolphine.
J’appris tout par hasard, car Roudolphine
se gardait bien de m’en souffler un mot. Les jardins
des deux villas se touchaient. Un jour que je cueillais
des fleurs derrière une haie, je vis Roudolphine retirer
un billet de dessous une pierre du mur, le cacher
rapidement dans son corsage et s’enfuir dans sa
chambre. Soupçonnant une petite intrigue, je l’épiai
par la fenêtre et je la vis lire fébrilement un billet
qu’elle brûla aussitôt. Puis elle se mit à son secrétaire
pour écrire probablement la réponse. Pour la
tromper, je courus dans ma chambre et chantai à
haute voix, comme si je m’exerçais. Par la fenêtre,
je surveillais l’endroit où elle avait retiré le papier.
Bientôt apparut Roudolphine ; elle se promena le
long du mur, joua avec les branches et cacha sa réponse
avec tant d’adresse que je ne la vis pas faire.
Pourtant j’avais bien remarqué où elle s’était arrêtée
le plus longtemps. Dès qu’elle fut rentrée et dès que
je me fus assurée qu’elle était occupée, je me préci-
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MÉMOIRES D’UNE CHANTEUSE ALLEMANDE
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