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Page:Schröder-Devrient - L’Œuvre des Conteurs Allemands - Mémoires d’une chanteuse Allemande, 1913.djvu/138

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MÉMOIRES D’UNE CHANTEUSE ALLEMANDE


état était indescriptible. Le prince s’avançait avec lenteur, mais avec sûreté. Je ne tolérais pas son baiser, car il aurait alors remarqué combien je brûlais d’envie de le lui rendre. Je luttais avec moi-même, j’avais envie de terminer cette comédie, de mettre fin à mon afféterie et de m’abandonner complètement à la force des circonstances. Mais alors je perdais ma supériorité vis-à-vis des deux pécheurs, les ficelles de mes marionnettes m’échappaient, et j’aurais été en outre exposée aux baisers fécondants de cet homme violent et passionné, car le prince n’aurait pas su limiter son triomphe, une fois vainqueur. J’avais remarqué avec quelle violence il avait caressé Roudolphine. Toutes mes prières auraient été vaines, et mes précautions n’auraient eu sans doute aucun effet ; d’ailleurs savais-je si au dernier moment j’aurais pu me retenir ? Toute ma carrière d’artiste était en jeu. Je fus donc ferme. Je me laissais tout faire sans y répondre, et je me défendais très violemment quand le prince essayait d’obtenir davantage. Roudolphine ne savait plus quoi me dire, ni ce qu’elle devait faire ; elle sentait que ma résistance devait être brisée cette nuit même, afin qu’elle-même osât encore me regarder dans les yeux le lendemain matin. Pour m’exciter encore plus — ce dont vraiment je n’avais plus besoin — elle mit sa tête sur ma poitrine, m’embrassa, me caressa doucement, puis plus violemment, avec des paroles délicates et particulièrement flatteuses. Ensuite elle commença un jeu si aimable que je lui laissai pleine liberté. Le prince lui avait cédé sa place ; il me bai-