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Page:Schröder-Devrient - L’Œuvre des Conteurs Allemands - Mémoires d’une chanteuse Allemande, 1913.djvu/34

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MÉMOIRES D’UNE CHANTEUSE ALLEMANDE


De la main elle caressait le beau front intelligent de son mari jusqu’à la racine de ses cheveux. Tout ce que j’avais vu précédemment m’avait consternée et fait peur. J’étais troublée, agitée d’une façon incompréhensible et très douce. Si je n’avais craint le froissis de mes robes, j’aurais remué pour détendre mes nerfs crispés et pour déraidir mes jambes depuis longtemps immobiles. Ma mère avait tout oublié ; cette femme sérieuse et grave n’était plus qu’une épouse effrénée. Ce spectacle était indescriptible et beau. Les membres robustes de mon père, les formes rondes, blanches et éblouissantes de ma mère, et, surtout, le feu de leurs beaux yeux qui s’agitaient comme si toutes les forces vitales de ces deux êtres heureux se fussent concentrées en eux ! Quand ma mère se dressait, je voyais leurs lèvres se séparer avec regret l’une de l’autre et se reprendre étroitement serrées, je voyais leurs mains jouer dans leurs chevelures ; parfois ils souriaient, et le sourire apparaissait pour disparaître au plus vite. Maintenant, ma mère se taisait. Tous les deux, ils semblaient heureux au même degré. Leurs yeux se noyèrent au même instant, et au moyen de la plus haute extase mon père parut renaître pour de bon ; cette fois il poussait de profonds soupirs, s’écartait parfois de ma mère comme pour mieux pouvoir contempler le spectacle chéri que lui présentait le visage surprenant et mutin de sa délicieuse et adorable épouse. Mon père cria : « Je t’aime, ô ma femme bénie, je t’aime ! » Et au même instant, ma mère : « Oui, oui,