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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/132

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qu’il a pour maître Ulysse, qui lui avait soufflé cette calomnie[1].

Seulement, quand le jeune homme en possession de l’arc fameux conduit Philoctète vers son navire, — après que celui-ci, puisque les mensonges accumulés ont réussi, loin de résister, l’a supplié de l’embarquer, le pressant, le conjurant de se hâter, — subitement, quand il touche au but, Néoptolème défaille[2] : il redevient le fils d’Achille. Pourquoi ce revirement ? Parce que Philoctète est à sa merci. Ce qui le prouve, c’est que pendant que le malheureux dans une crise de son mal ne pouvait faire usage ni de sa main, ni de son pied, ni d’aucun membre, Néoptolème, malgré le conseil pressant du chœur[3], n’a pas profité de l’occasion. Si Philoctète résistait, s’il se défendait, s’il l’injuriait, il continuerait son rôle avec ardeur. Mais parce que le malheureux est faible, surtout parce qu’il a pleine confiance en son guide, puisqu’il s’appuie sur lui en marchant, le jeune homme recule. Et comme l’autre ne comprenant rien demande des explications, il avoue tout.

Peut-être, par un reste de naïveté, Néoptolème espère-t-il que Philoctète, cédant à ses prières et touché de sa franchise, consentira à s’embarquer pour Troie, où l’attendent une guérison prochaine et une gloire immense. Mais cet homme est le plus obstiné qui ait jamais paru sur aucun théâtre.

Cette obstination est faite de rancune, de colère, de rage. Il n’a jamais oublié, depuis près de dix ans, sa crise de désespoir, quand il s’est réveillé seul, sur le rivage de la mer, pendant qu’à l’horizon disparaissaient les navires qu’il avait amenés[4]. Il a presque honte de n’avoir pu encore se venger de cette trahison. Aussi quand on lui prend son arc, il ne cède pas ; au contraire, il convie à le

  1. Philoct. 62 sqq.
  2. Philoct. 895.
  3. Philoct. 835 sqq.
  4. Philoct. 276 sqq.