Aller au contenu

Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
149
NOTICE

son aîné Polynice et le chasse du pays[1] ». Si, au moment où les deux frères veulent s’emparer du pouvoir, Polynice a été exilé par Étéocle, la chose est claire, Polynice n’a jamais régné un seul jour à Thèbes.

Ainsi, au début de l’Œdipe à Colone, le malheureux est innocent de toute faute à l’égard de son père, et à mesure que le drame progresse, sa culpabilité grandit et devient accablante. Voici, en effet, dans quel ordre les choses nous sont présentées : d’abord (v. 367 sqq.) il n’a aucun pouvoir ; puis (v. 427 sqq.), il tolère la faute avec Étéocle ; puis (v. 599 sq.), il la commet avec lui ; enfin (v. 1354 sqq.), il est seul à la commettre. La progression est trop régulière pour ne pas être calculée. À la représentation elle ne risquait guère d’être aperçue. Une lecture attentive peut seule la découvrir, mais les tragédies grecques, on l’a déjà dit, étaient bien moins faites pour être lues que pour être jouées[2]. Comme il fallait ici modifier la légende, pour qu’en face de son père Polynice méritât toutes les malédictions, Sophocle s’y est pris par retouches successives, qui sont si menues que, considérées isolément, elles sont invisibles.

Si ces retouches ont été relevées ici avec quelque soin, c’est qu’elles prouvent une chose importante : l’authenticité de l’entrevue entre Œdipe et son fils. Elle a souvent été discutée par les modernes. Ils ont juxtaposé les faits, ils ont remarqué qu’ils ne s’accordaient pas exactement entre eux, ils ont conclu à des altérations plus ou moins

  1. Œd. à Col. 374 sqq. L’âge respectif des deux frères est mentionné ici pour la première fois. Comme cet âge est interverti, Sophocle répète trois fois en deux vers la même affirmation, pour la bien fixer dans l’esprit du public.
  2. C’est ce qui explique de menues contradictions que les commentateurs anciens, qui épluchent tout, n’ont pas toujours relevées : dans l’Alceste d’Euripide, la femme d’Admète est tantôt (v. 365 sqq. v. 897 sqq.) enterrée, tantôt (v. 608, 740) brûlée ; dans l’Hécube, les captives troyennes du chœur ont déjà (v. 100) un maître et (v. 447 sqq.) n’en ont pas encore un. Voir les notes de Weil dans ses éditions de ces pièces.