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Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/54

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Prophète de malheurs, acquis-tu ce grand art
De ne tout expliquer que lorsqu’il est trop tard !
Quand le sphinx captieux faisait mainte victime,
Tu pouvais à ton art avoir recours sans crime ;
C’est alors qu’il fallait un habile devin
En qui l’on vit briller un savoir sûr, divin.
Tes oiseaux ni tes dieux ne firent rien connaître !....
À peine dans ces murs on l’avait vu paraître,
Qu’Œdipe[1], par le seul effort de son esprit,
Vit, expliqua le sphinx, d’un mot le confondit.
Le désir de régner sous Créon t’importune,
Voilà ce qui te rend jaloux de ma fortune !
Par cette ambition, source de tes douleurs,
Sur ton complice et toi fondront bien des malheurs.
Sans un reste d’égard que j’ai pour ta vieillesse,
Déjà tu sentirais ma haine vengeresse.

LE CHŒUR.
En ces discours domine une trop vive ardeur ;

La colère les dicte. Hélas ! songez, seigneur,
Songez, Tirésias, qu’il nous faut avec zèle
De l’oracle accomplir la volonté formelle.

TIRÉSIAS.
Quoique tu sois monarque, oui, dans ce jour fatal,

Je te réponds, Œdipe, ainsi qu’à mon égal.
Les lois d’Apollon seul doivent régler ma vie ;
Ai-je besoin qu’ici Créon me justifie ?
Libre, je vais parler et m’expliquer sans peur :
D’être aveugle, il est vrai, j’ai le cruel malheur,
Mais toi, tout éclairé que tu veuilles paraître,
Un abîme de maux... tu l’ignores peut-être ?...
Dis, quels sont les mortels de qui tu te crois né ?
Sais-tu quel est ton père, ô fils infortuné !
Sais-tu bien que tu vis en horreur à la terre ?

  1. Voir la note 11 de l’acte 1er.