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Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/350

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(Antistrophe 2.) O toi, qui conduis le chœur des astres étincelants[1], et qui présides aux chants nocturnes[2], jeune fils de Jupiter, viens, escorté des Thyades de Naxos, tes compagnes, qui, pendant toute la durée des nuits, forment des danses en l’honneur de leur maître Iacchos.

UN ENVOYÉ.

Habitants de la cité de Cadmus et d’Amphion[3], il n’est pas d’homme, quelle que soit sa condition, dont je puisse désormais ni vanter le bonheur, ni blâmer la misère. En effet, c’est toujours la fortune qui élève, c’est la fortune qui abat tour à tour l’homme heureux et le malheureux, et nul devin ne peut prédire aux mortels une destinée durable[4]. Créon naguère me paraissait digne d’envie, il avait délivré de ses ennemis la terre de Cadmus, et la gouvernait avec un empire absolu, il était père d’une noble et florissante[5] famille ; et maintenant tout ce bonheur s’est évanoui. Car celui qui perd à jamais le plaisir ne vit plus, à mon sens, ce n’est plus qu’un cadavre animé. Entasse, si tu le veux, d’immenses richesses dans ton palais, que ta vie étale un faste royal ; tous ces biens, si la joie ne les accompagne, je ne les achèterais pas, en échange du plaisir, au prix d’une ombre de fumée[6] ?

  1. Souvent dans les tragiques, Bacchus et Apollon se prennent l’un pour l’autre.
  2. Les hymnes chantés dans les mystères de Bacchus, qui se célébraient pendant la nuit.
  3. Les deux fondateurs de Thèbes.
  4. Ces réflexions philosophiques et ce trait lancé contre les devins peuvent paraître un étrange début, pour un messager.
  5. Littéralement : « florissant par une noble moisson d’enfants. » Lucrèce, I, 256 :
    Lætas urbes pueris florere videmus.
  6. Pindare, Pythiq. VIII, 135 :
    Σκιᾶς ὄναρ ἄνθρωπος᾽


    Eschyle, Fragment 335, éd. F. Didot :

    Τὸ γὰρ βρότειον σπέρμ᾽ ὲφήµερα φρονεῖ,
    Καὶ πιστὸν οὐδὲν µᾶλλον ἢ καπνοῦ σκιά.

    « La race mortelle n'a que des sentiments éphémères, on n'y peut faire plus de fonds que sur une ombre de fumée. »

    Philoctète, v. 946 : κοὐκ οἶδ᾽ ἐναίρων νεκρὸν, ἢ καπνοῦ σκιάν εἴδωλον ἄλλως·
    « Il ne sait pas qu'il tue un mort, une ombre de fumée, un vain fantôme. »