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HISTOIRE DU PARNASSE

bolisme[1]. Baudelaire découvre le premier l’idée symboliste : « j’ai trouvé la définition du Beau, de mon Beau. C’est quelque chose d’ardent et de triste, quelque chose d’un peu vague, laissant carrière à la conjecture[2] ». Puis il invente le mot, l’étiquette, ou du moins, le premier, il lui donne son sens littéraire, sa valeur de système ; après avoir loué le talent de Gautier à trouver le mot propre, le mot unique, il agrandit la question : « si l’on réfléchit qu’à cette merveilleuse faculté Gautier unit une immense intelligence innée de la Correspondance et du symbolisme universels, ce répertoire de toute métaphore, on comprendra qu’il puisse sans cesse, sans fatigue, comme sans faute, définir l’attitude mystérieuse que les objets de la création tiennent devant le regard de l’homme[3] ».

Une théorie de cette importance est rarement la découverte d’un seul inventeur. On en a trouvé des germes dans Schopenhauer, même dans Mme de Staël qui dit dans sa Corinne : « les sons imitent les couleurs, les couleurs se fondent en harmonie[4] ». Mais il était réservé à Baudelaire de donner la formule parfaite dans le sonnet Correspondances :


La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.


Ce vers célèbre,


Les parfums, les couleurs et les sons se répondent,


n’est pas un simple bonheur d’expression, une forme heureuse dépassant la pensée du poète, et destinée à s’enrichir surtout d’ap-

  1. Pierre Flottes, Baudelaire, p. 207, 220.
  2. Œuvres Posthumes, p. 84.
  3. Œuvres, III, 173.
  4. René Brancour, Le Correspondant du 10 juin 1922, p. 912.