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HISTOIRE DU PARNASSE

beauté de leurs contours. Le Parnasse peut se reconnaître dans la beauté de cette forme, étant donnés tous les traits d’union que nous avons remarqués entre la pensée de Baudelaire et la doctrine parnassienne.

Chez Baudelaire, l’artiste est encore supérieur à sa réputation. Parmi les poètes spiritualistes les plus purs, qui donc a donné de la poésie une définition plus haute que celle-ci, où l’on retrouve tout Baudelaire, son romantisme, son amour de l’art parfait, et son symbolisme : « c’est cet immortel instinct du Beau qui nous fait considérer la Terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du Ciel. La soif insatiable de tout ce qui est au delà…, est la preuve la plus vivante de notre immortalité. C’est à la fois par la poésie et à travers la poésie, par et à travers la musique, que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau ; et quand un poème exquis amène les larmes au bord des yeux, ces larmes ne sont pas la preuve d’un excès de jouissance, elles sont bien plutôt le témoignage d’une mélancolie irritée, d’une nature exilée dans l’imparfait, et qui voudrait s’emparer immédiatement, sur cette terre même, d’un paradis révélé[1] ». Il disait cela dans son étude sur Gautier, le premier maître du Parnasse, et le sien. Rarement il s’est élevé si haut, je le reconnais, mais par quoi doit-on juger un écrivain, sinon par son point de perfection ? Aussi quitterons-nous Baudelaire en regardant une dernière fois la plus pure des Fleurs du Mal :


Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,

Loin d’eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

Le Soleil moribond s’endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l’Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.


  1. Œuvres, III, p. 167.