Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
50
HISTOIRE DU PARNASSE

Mais il n’a pu, avec ses étoiles, payer ni boulanger, ni tavernier, ni marchand de toile, et il est mort,


Maigre et serrant dans sa main
Ses étoiles inutiles.


On l’a mis au cercueil avec son trésor :


Dors ! ô Mendiant divin
Qui payais avec des mondes !…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Quelque jour les fossoyeurs

Verront, tombant en prière,
Des soleils intérieurs
Luire aux fentes de ta bière,

Et sous leur pic effaré,
Brisant la planche sonore,
Feront du tombeau sacré
Jaillir une grande aurore[1] !


Après la mort de son ami, Flaubert vit briller dans ses manuscrits des poésies inconnues, rayonnantes et les publia. George Sand, surprise, écrivit à Flaubert : « Ta préface est splendide, et le livre est divin… Oui, tu as raison, il n’était pas de second ordre, celui-là[2] ! » C’est ce que devait penser Leconte de Lisle, et peut-être eût-il, suprême éloge, un petit mouvement de jalousie en lisant ce sonnet :


Kronos, roi du passé, père des jours à naître,
Seul des Olympiens sur son trône est resté ;
L’impitoyable faux au tranchant redouté
Tremble éternellement dans les mains du vieux maître ;

Sa barbe, que le feu des étoiles pénètre,
Sous ses flocons d’argent couvre l’immensité :
Il jette aux dieux nouveaux un regard de côté,
Et se détourne d’eux, sans les vouloir connaître.

À quoi bon ? rien n’est sûr, d’autres viendront encor…
N’a-t-il pas vu ses fils brisant leurs sceptres d’or
Et l’Olympe encombré du débris de leurs armes ?

Sur terre et dans les cieux, sachant que tout est vain,
Il pleure, épouvanté de ce néant divin —
Et la profonde mer n’est qu’une de ses larmes[3].


Leconte de Lisle a dû se dire : — il m’a été dérobé. — C’est la même valeur de vers, et la même force d’idées. Bouilhet pense

  1. Œuvres, p. 111-114.
  2. Correspondance de G. Sand, VI, 195.
  3. Dernières chansons, p. 211, ou Œuvres, p. 378.