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HISTOIRE DU PARNASSE

de force[1]. Il a imaginé des rythmes ingénieux, et qui demandent, pour arriver au charme, l’art le plus curieux et le plus exact ; il a créé la rime masculine unie à une rime féminine par assonance. Ainsi la pièce intitulée Désespérance :


Tombez dans mon cœur, souvenirs confus,
        Du haut des branches touffues !
Oh ! parlez-moi d’elle, antres et rochers,
        Retraites à tous cachées[2] !…  ;


Barbey d’Aurevilly admire cet effet : « l’assonance la plus inattendue a presque sur l’esprit puissance de pensée, et dissout les nerfs dans la plus noble des mélancolies[3] ».

En dernière analyse, quand j’aurai encore reconnu que Banville limait et relimait ses vers d’une édition à l’autre, j’aurai, je crois, épuisé tous les arguments qu’on peut mettre en avant pour faire de lui un parnassien et un maître du Parnasse[4]. Il me reste à prouver maintenant qu’il n’est ni l’un ni l’autre, sauf au début peut-être, avant la dictature de Leconte de Lisle[5].

§ 2. — Ce qui éloigne Banville du Parnasse

Banville n’est pas parnassien, parce qu’il est romantique. Ne croyons pas Anatole France qui, simplement pour être désagréable à Leconte de Lisle, approuve la formule qu’il a probablement imaginée lui-même : « on a dit justement qu’il fut le dernier des romantiques et le premier des parnassiens[6] ». La première partie seule est exacte ; Sainte-Beuve l’a très bien vu : « quand la prairie des Muses semble tout entière fauchée et moissonnée, des talents inégaux, mais distingués et vaillants, trouvent encore moyen d’en tirer des regains heureux[7] ». En effet, Les Exilés sont le regain des Châtiments. Du reste, tout le monde reconnaît que Banville est romantique[8], avec une nuance personnelle : il n’est pas mélanco-

  1. Par exemple dans Les Exilés, p. 101, 110 ; Banville, Mes Souvenirs, p. 289-290.
  2. Stalactites, p. 71.
  3. Poésies et Poètes, p. 78.
  4. Jacques Patin, Les Variantes de Banville dans le supplément littéraire du Figaro, 30 juin 1928.
  5. John Charpentier, Théodore de Banville, p. 77-78 ; Clouard, La Poésie française moderne, p. 30 et suiv.
  6. La Vie littéraire, IV, 237.
  7. Lundis, XIV, 85.
  8. Même Zola ; cf. Documents, p. 173.