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HISTOIRE DU PARNASSE

Mais la distance est grande et ma vieillesse est lasse.
Qui pourrai-je envoyer à Ségor en ma place ?
Rare est un messager fidèle et diligent.
Va, et réclame-leur trente sicles d’argent. »
La femme dit : « Le maître a parlé, je suis prête ».
Elle appela ses fils, mit ses mains sur la tête
Du fier aîné, baisa le front du plus petit,
Et, prenant son manteau de laine, elle partit[1].


De même, au Parnasse de 1876, on serait tenté de considérer Le Soleil de Minuit comme une imitation des Poèmes Barbares, et pourtant ce tableau poussé, dur, est à la manière de… Mendès. C’est une scène de cauchemar : le vieux Snorro, assassiné par Agnar, l’amant de sa femme, rentre, fantôme effrayant, dans sa maison, et passe la nuit avec Snorra, car il veut avoir un enfant qui plus tard le vengera. Ce rêve affreux, digne d’Hoffmann, est accompagné, en sourdine, par un duo d’amour entre un loup et une louve. Cette œuvre d’art, en apparence barbare, est très subtilement fouillée : à un collier préhistorique Mendès met un fermoir moderne : le dernier vers de la pièce rappelle, comme un écho, le premier ; voici le début :


Quand l’immémoriale antiquité des jours
Commençait pour ce globe et ses vides séjours,
L’obscure volonté selon qui la matière
Se ruait à remplir sa destinée entière,
Faisait sur le désert universel des eaux
Voguer des continents comme de grands vaisseaux.


et voici la fin, en écho :


Dans la lividité du minuit persistant,
L’île blafarde, au loin solitaire, s’étend,
Jusqu’à ce que les nefs de l’antique pilote,
Dans l’orageux chaos où leur désastre flotte,
Rompant l’ancre scellée aux rocs des vieux destins,
Marquent, l’homme étant mort sous les soleils éteints,
Le terme, pour ce globe et ses vides demeures
De l’immémoriale antiquité des heures.


C’est le même procédé que dans Le Consentement, plus caché peut-être, et risquant de ne pas être aperçu ; c’est de l’art pour l’art. Mendès a le génie des reprises.

Avec toutes ces qualités il ne réussit pas à s’imposer. Il est

  1. Parnasse de 1869, p. 82 ; Choix de Poésies, p. 77.