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HISTOIRE DU PARNASSE

au point où arrive son ami Ménard, à savoir que toute religion fut vraie à son heure[1]. Il va plus loin : sa philosophie est une théogonie qui aboutit au néant ; sa thèse est condensée dans une pièce capitale, La Paix des Dieux : les divinités n’ont jamais été qu’une création de l’homme, un rêve humain[2]. Il met dans la bouche d’Hypatie cette profession de foi sur l’existence des dieux :


Ils vivent dans mon cœur[3].


Et donc, ils meurent avec l’arrêt de ce cœur. Ils ne sont plus que poussière. On pourrait mettre à cette étude une épigraphe :


Tuque expende Deos : quoi libras in Jove summo
Invenies ?


Alors, qu’est-ce que son art, et qu’y a-t-il au centre ? Nous venons de faire, en matière de philosophie religieuse, un travail analogue à celui qu’accomplirent ceux qui ont violé la tombe du pauvre petit Touth an Kamon : ils découvrent des merveilles, de plus en plus surprenantes, au fur et à mesure qu’ils s’approchent de la dernière chambre, de la dernière enveloppe : mais au centre il n’y a plus qu’une momie ligotée dans ses bandelettes. Au centre de l’œuvre de Leconte de Lisle, il n’y a qu’une foi morte.

Du moins, y a-t-il là de la vérité historique ? La Grèce des Poèmes est-elle la Grèce de la réalité ? Le poète croit bien être bon historien, car, en 1864, opposant sa méthode à celle de V. Hugo, il se donne la préférence : nous sommes, dit-il, « en présence de deux théories esthétiques opposées, entre lesquelles, pour cause personnelle, il ne m’appartient pas de décider ici. L’une veut que le poète n’emprunte à l’histoire ou à la légende que des cadres plus intéressants en eux-mêmes, où il développera les passions et les espérances de son temps. C’est ce que fait V. Hugo dans La Légende des Siècles. L’autre, au contraire, exige que le créateur se transporte tout entier à l’époque choisie, et y revive exclusivement[4] ». Cela ne peut être qu’un idéal, dont on s’approche plus ou moins, mais qu’on ne peut réaliser tout entier. Laissons de côté, bien entendu, les quelques erreurs de détail qui n’engagent pas la valeur de l’en-

  1. Paul Bourget, Essais de Psychologie, II, 97.
  2. Derniers Poèmes, p. 3-8.
  3. Poèmes Antiques, p. 286-287.
  4. Derniers Poèmes, p. 261.