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HISTOIRE DU PARNASSE

logis de célibataire, rue Cassette, il est en proie à la désespérance, et compose son testament mystique, L’illusion suprême. Au même instant, un peintre de ses amis vient le trouver, lui raconte qu’il a reçu la commande d’un chemin de croix, et le supplie d’écrire quatorze pièces pour accompagner les tableaux ; c’était une belle occasion de refuser, avec une fière déclaration de principes. Il accepte, par pauvreté, par besoin ; il publie ce travail, qu’il intitule La Passion, dans ses œuvres, édition de 1858, pour obtenir un prix à l’Académie[1]. Cette poésie alimentaire, froide, gênée, ne reparaît pas dans les Poèmes Barbares, où elle ferait un singulier contraste avec la Légende des Nornes, avec le Barde de Temrah, avec le Runoïa : dans chacun de ces poèmes est annoncé l’avènement du jeune Dieu d’Amour, chassant les vieilles divinités du Nord ; mais, avant de mourir, elles se vengent en prédisant la mort de Jésus.

Ne serait-ce pas là du Renan ? Baudelaire le premier, en 1861, a rapproché leur pensée[2] ; Leconte de Lisle lui donne raison, dans son édition de 1862, en dédiant à Renan La Vigne de Naboth[3]. Leur philosophie s’apparente avec celle de Taine[4] ; l’originalité de Leconte de Lisle est dans la fougue avec laquelle il attaque la religion du Christ : sa passion éclate notamment dans La Vision de Snorr. Ce poème est tiré des Chants de Sôl, de Bergmann ; seulement l’auteur de ces Chants est un chrétien convaincu, tandis que le poète de La Vision, comme l’a constaté M. Vianey, hait le Christianisme[5]. Si l’on veut savoir jusqu’où il poussait cette haine que la beauté de la forme masque dans ses poésies, il faut prendre la conclusion de son histoire populaire de la religion : « le Christianisme, et il faut entendre par là toutes les communions chrétiennes, depuis le Christianisme romain jusqu’aux plus infimes sectes protestantes ou schismatiques, n’a jamais exercé qu’une influence déplorable sur les intelligences et sur les mœurs…[6] ». Dans l’intimité il allait un peu plus loin : les croyants lui semblaient de purs imbéciles : « à leur tête, dit un de ses confidents, il plaçait Bossuet[7] ».

Ce n’est pas Bossuet qui est diminué par cette appréciation,

  1. Poèmes Tragiques, p. 55 ; Dornis, Essai, p. 228 ; Derniers Poèmes, p. 161 ; Calmettes, p. 76.
  2. Œuvres, III, 389.
  3. Elsenberg, Le Sentiment, p. 164, note.
  4. Paul Bourget, La Leçon de Barrès, dans L’illustration du 15 décembre 1923, p. 612.
  5. Revue, 1923, p. 541-549.
  6. Cité par M. A. Leblond, Leconte de Lisle, p. 377-378. — Cf. Flottes, p. 197-199.
  7. Calmettes, p. 107.