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HISTOIRE DU PARNASSE

toute une cheminée qui nous tombe sur la tête[1] ! — À ce mot, Leconte de Lisle dut se rappeler le conseil de Sainte-Beuve : il s’était « absorbé » dans l’Inde ! À qui la faute ? Ce n’est pas tout à fait celle des auditeurs, au salon de Mme Jobbé. On se rappelle le succès des plaisanteries de Pailleron contre « les Ramas-Ravanas, et tous les fouchtras de Bouddha ». C’est toujours là l’opinion des profanes sur les beaux vers de Bhagavat.

Qu’en pense la critique ? En Angleterre on admire fort l’hindouisme de Leconte de Lisle. On déclare que Bhagavat est d’une beauté unique[2]. S’appuyant sur l’autorité de Swinbume, d’Edmund Gosse, et d’Arthur Symons, M. Whiteley met très haut l’auteur de tant de poèmes hindous[3]. La critique française est plus réservée : je ne vois guère que Jean Domis qui admire à fond, tout en voulant découvrir dans Valmiki une incarnation du poète, et, au travers de son désolant nirvana, des éclairs d’espoir dans l’au delà[4]. Les autres font des réserves : Xavier de Ricard ne voit dans son panthéon hindou que des fresques, mot qui semble bien ironique appliqué à un écrivain d’une conscience aussi minutieuse, d’un labeur aussi patient[5]. Barrès trouve cette philosophie inférieure, parce que l’auteur ne l’a exprimée que dans des fragments qui, si magnifiques qu’ils soient isolément, ne constituent pas une synthèse claire[6]. Jules Lemaître, amoureux de la lumière fine du ciel de France, proteste contre les rayons cuisants de Surya : il préfère à la flore hindoue les peupliers de la Touraine, à l’Himalaya ses coteaux modérés. Il déclare ce bouddhisme ahurissant et fiévreux comme une insolation[7]. Un autre, un admirateur zélé pourtant, croit que pour bien sentir cette poésie éclatante et chaude, il faut la lire au soleil, au beau soleil du Midi, sur les côtes de la Provence, dans cette nature qui rappelle la Grèce. Là on comprend mieux Leconte de Lisle : c’est le prêtre du temple hellène[8]. Est-ce bien, en effet, la lumière de l’Inde qui illumine les poèmes hindous de notre poète ? Sa vraie patrie littéraire n’est-elle pas plutôt la

  1. Calmettes, p. 65-67, 45 ; Dornis, Essai, p. 70.
  2. Miss Gladys Falshaw, p. 115.
  3. J. H. Whiteley, Étude sur la Langue et le Style de Leconte de Lisle, p. 183.
  4. Revue Hebdomadaire, 6 mars 1909, p. 53, 69.
  5. Le Petit Temps du Ier juillet 1899.
  6. Amori et Dolori sacrum, p. 185-186.
  7. Contemporains, II, 40, 23.
  8. Édouard Millaud, La Nouvelle Revue, Ier février 1922, p. 280.