Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
218
HISTOIRE DU PARNASSE

d’un effet sonore trop bref : il allonge le mot pour rendre la longue plainte de la bête


Au travers de la nuit mi-aule tristement.


Cela ne semblera une vétille qu’à ceux qui n’ont pas d’oreille. On pourrait trouver d’aussi curieuses corrections dans Hieronymus qui parut d’abord au Parnasse de 1876. Ce premier texte permet même de corriger un non-sens dans la réédition des Poèmes tragiques. On y lit, p. 150 :


Au son vide du son qui souffle dans l’oreille.


Le Parnasse donne le vrai texte :


Au son vide du vent qui souffle dans l’oreille.


Les vers de Leconte de Lisle ont le droit d’être étudiés avec autant d’attention que ceux de n’importe quel poète grec, car il se fait de leur grandeur une idée que M. Canat semble avoir bien rendue, en partie tout au moins : « réfléchir l’univers, pour Leconte de Lisle, c’était, après avoir isolé ce qui lui semblait typique, l’embellir par le travail du rythme et de la rime. Il croyait que tout dans la nature n’était qu’une fantasmagorie sans réalité, et qu’il n’y avait qu’une seule réalité, une seule beauté visible et étemelle : de beaux vers ou de belles rimes. Pour lui,… l’éternité de l’art littéraire provenait surtout de la forme, du style plus réel que toutes les splendeurs de l’univers[1] ». Calmettes est plus complet, parce qu’il a été le confident direct de la pensée du Maître ; quand Leconte de Lisle prononçait sa formule magique, faire des vers, il voulait dire : trouver la pensée la plus digne d’être revêtue de la forme suprême, supprimer toute superfluité, n’employer que des mots choisis, lui donner l’harmonie et la majesté par le rythme, la grandir par la puissance de la rime, et la renforcer par des idées secondaires qui viennent comme des arcs-boutants soutenir cette idée principale[2].

On comprend mieux maintenant son intransigeance, ses scrupules d’artiste et de penseur, son dédain absolu des improvisateurs qui se contentent de la première idée et de la première forme venues. Thalès-Bemard avait eu l’imprudence de dire, en candide élève de Lamartine : — finissons-en avec la poésie sculptée

  1. Du Sentiment de la Solitude, p. 252.
  2. Leconte de Lisle et ses Amis, p. 286.