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HISTOIRE DU PARNASSE

ses plaisanteries[1]. Pour les mettre à leur aise il imagine jusqu’à des calembours énormes ; il y en a un qui est célèbre au Parnasse ; il est de tradition qu’on en fasse attendre l’explication aux nouveaux venus : Leconte de Lisle n’appelle jamais Ratisbonne que : le Dumolard de la Poésie. — ? — Mais oui : Dumolard est un tueur de bonnes, alors notoire ; donc le poète Ratisse-bonnes est un Dumolard[2] ! Et de rire, protocolairement.

Voilà un Leconte de Lisle inattendu, qui sait descendre de son olympe, et s’humanise avec ses disciples. Il les encourage dans leur effort ; il les réconforte dans leurs insuccès, en leur citant modestement ses propres déboires : « Ah ! vous avez fait de mauvais vers ? Pas tant que moi ! Voyez-vous, il faut avoir fait de mauvais vers[3] ». Il fait mieux : il organise en 1863 pour ces jeunes gens qui ne trouvent pas encore d’éditeur, des Lectures Poétiques : Mendès devenu son lieutenant, est chargé de tâter Baudelaire, de lui demander son concours, et, tout d’abord, son nom : « tous les mardis, cinq ou six poètes liront, dans une salle assez vaste, quelquefois des études d’esthétique, souvent des traductions, presque toujours des vers d’eux-mêmes… Ai-je besoin de vous dire que vous serez en bonne compagnie, et en compagnie d’amis ? Leconte de Lisle, Soulary, Ménard, Philoxène Boyer, etc., etc. ; Gautier, que Leconte de Lisle visite aujourd’hui ; puis deux ou trois jeunes gens comme moi… Nos affiches ont hâte de s’enorgueillir de votre nom[4] ». Il faut, en effet, s’appuyer auprès du public sur des réputations déjà établies. En 1865, Leconte de Lisle remercie Émile Deschamps de l’avoir autorisé à mettre son nom, qui est alors une réclame, sur le programme des Lectures Poétiques[5]. Ainsi le Maître aide les jeunes à percer ; il leur en donne la force par son enseignement.

Cette doctrine, il l’a résumée dans la préface de ses Poèmes antiques, en 1852. Elle vaut surtout par son côté négatif : c’est une rupture violente avec les poètes romantiques ; il leur reproche de manquer d’idées, de système philosophique, « impuissants que vous étiez à exprimer autre chose que votre propre inanité[6] ». Ce dédain généralisé se concentre sur Victor Hugo ; cela tourne à la haine

  1. Ledrain, L’Éclair du 22 juin 1898.
  2. Welschinger, Débats du 16 août 1910.
  3. Premières Poésies, p. vii.
  4. Crépet, Baudelaire, p. 395.
  5. H. Girard, Un Bourgeois dilettante, p. 511.
  6. Derniers Poèmes, p. 215-218.