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XXII
HISTOIRE DU PARNASSE

très intime qu’une longue séparation n’avait pas détruite[1] ». Ricard en arrive à considérer la passion politique comme le critérium de la valeur littéraire : « Verlaine, dit-il avec une sorte de naïveté, ne serait pas le grand poète qu’il fut, si, entre tant de crises par où il passa, il n’eût eu sa crise républicaine et même communarde[2] ».

Verlaine, tâtonnant dans ses souvenirs, cherche qui, de Mendès ou de Ricard, fut le véritable fondateur du Parnasse ; ils s’étaient liés, étant, dit-il, « voisins de palier », et, de ces premières relations, comme des réunions chez Mendès ou chez la mère de Ricard, serait sortie l’idée du Parnasse[3]. On ne voit pas très bien le Parnasse fondé sur un palier ; mais Verlaine se ressaisit, et, dans ses Mémoires d’un veuf, précise un peu : les soirées chez M. et Mme de Ricard sont le vrai germe du Parnasse, et de même L’Art est bien la première publication parnassienne, car ce journal hebdomadaire, publié chez Lemerre, « parut pendant quelques semaines, juste le temps d’ensemencer sur un papier et dans une typographie irréprochables, les théories absolues, hautaines, intransigeantes, d’où sortit de terre, grâce à l’épais fumier de quelques grasses injures, ce Parnasse Contemporain[4] ». Mendès, d’après Verlaine, se serait associé avec L’Art et son directeur, apportant pour sa part contributive « un très honorable esprit de propagande littéraire », et aussi « le précieux concours de ses illustres maîtres et amis, MM. Théodore de Banville et Leconte de Lisle[5] ». Verlaine, du moins, prononce le nom prestigieux que Mendès et Ricard s’efforcent de passer sous silence. Il y a même un singulier mérite, car Leconte de Lisle, après quelques témoignages de bienveillance, avait fini par l’exécuter ; dans un de ses meilleurs jours, alors qu’il écrivait Les Hommes d’aujourd’hui, Verlaine lui a rendu cet hommage : « Leconte de Lisle était un beau causeur, souvent amer par exemple… Gare à ceux qu’il investit de son animadversion ! Une dent acérée brille et mord ferme le malheureux… N’importe ! Il en est, parmi ces victimes d’injustices criantes, qui n’en veulent pas du tout, mais pas le moins du monde, à leur « Carnufex », et que d’ailleurs, l’équité

  1. La Revue (des Revues), Ier février 1902, p. 303.
  2. Le Petit Temps du 13 novembre 1898.
  3. Œuvres complètes, V, 414.
  4. Œuvres, IV, 284.
  5. Œuvres, IV, 285.