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XXVIII
HISTOIRE DU PARNASSE

Paris à Buenos-Ayres, très supérieur à l’Anatole France en pantoufles, comme valeur littéraire, explique l’attitude de l’indiscret secrétaire : il a rendu coups pour coups ; ses livres ne méritent pas un prix Montyon, mais c’est une très utile contribution à l’histoire d’A. France.

Il faut faire une place à part à quelques témoignages de bon aloi, parce qu’on n’y trouve aucun alliage de vanité froissée. Tel M. Barracand avec ses articles de la Revue de Paris, documentés et bienveillants[1]. Calmettes lui-même fait l’éloge de son cœur resté, dans le bon sens du mot, provincial, ou, comme le lui disait Leconte de Lisle, départemental[2]. Tel M. Maurice Dreyfous, qui a écrit un livre d’une bonne critique, sans bêchage ni fétichisme, notamment les pages consacrées à Victor Hugo et à Théophile Gautier[3]. Telle encore Mme Demont-Breton, au tome II de son ouvrage Les Maisons que j’ai connues. Elle a quinze ans et demi quand, en 1875, son père, Jules Breton, le peintre-poète, la conduit chez Leconte de Lisle. Dans la « mansarde parnassienne », elle voit et entend le Maître, ses principaux disciples ; elle sait voir et écouter, sans méchanceté, mais elle a l’esprit de finesse ; comme elle le dit elle-même, Mlle Breton est à l’âge « où l’on commence à raisonner ses enthousiasmes instinctifs[4] ». Une sagesse plus avertie, et plus amère, se dégage du livre de Jules Huret sur l’évolution littéraire aux environs de 1891. Huret a interrogé les écrivains notoires à cette date, surtout les Parnassiens et les Symbolistes. Ils ont témoigné, pour eux, avec confiance, et, contre leurs rivaux, avec colère. Le combat pour la vie littéraire dégénère en bagarre ; Richepin, qui se refuse à prendre part à cette rixe, trouve la scène écœurante ; elle évoque pour lui « le tableau d’un marécage pestilent, aux eaux de fiel, où se dressent quelques taureaux, et où ruminent quelques bœufs, tandis qu’entre leurs pieds s’enflent des tas de grenouilles coassant à tue-tête : — Moi, moi, moi ! — C’est sans doute divertissant pour la galerie ; mais ce n’est pas gai pour ceux qui aiment les lettres[5] ». Ce n’est pas gai, certainement, mais c’est très instructif, très vrai, puisque pas un des écrivains interrogés n’a pro-

  1. Mars 1914.
  2. Leconte de Lisle et ses amis, p. 222.
  3. Ce que je tiens à dire, p. 245 sqq., p. 261 sqq. Sur ses rapports avec Théo, cf. de Spoelberch, Histoire des œuvres de Th. Gautier, t. I, p. iv-vii.
  4. Les Maisons que j’ai connues, II, 127.
  5. Huret, Enquête, p. 369.