Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
329
LE PARNASSE

Il écrivait à l’éditeur du Daily Telegraph une longue lettre où son indignation prend la forme de l’ironie attique[1] : vos correspondants de guerre gagnent bien mal leur argent, car ils font leurs articles d’après des racontages et n’ont pas visité les quartiers bombardés ; s’ils avaient fait leur devoir, « ils n’auraient pas dit d’une ville où on ne peut trouver ni lait, ni beurre, ni légumes, ni farine, qu’elle s’est rendue par ennui plutôt que par manque de vivres ». L’Evening Standard a déclaré que les héroïques Parisiens étaient « un peuple vil ». Ménard répond : « Il est évident que la conscience n’est pas faite partout de la même manière… Le correspondant qui nous trouve vil ajoute que la victoire des Prussiens est légitime, parce qu’ils sont plus moraux que nous, et il fonde cette opinion sur ce qu’ils sont obéissants… Ce n’est pas par cette vertu de laquais que les Anglais sont devenus « le grand peuple de l’habeas corpus » comme les appelle Victor Hugo, qui n’a jamais calomnié l’Angleterre ». Louis Ménard termine sa protestation avec une dignité froide : « au nom de l’honneur de mon pays, je réclame de votre impartialité l’insertion de cette lettre dans votre journal ». Que fit le Daily Telegraph ? Je l’ignore ; Ménard avait parfaitement raison, mais, comme il le dit dans un coin de sa lettre, les vaincus ont toujours tort.

En somme, les Parnassiens pouvaient être contents de leur helléniste, et de la façon dont ils avaient passé la guerre. Ils se remirent à la besogne.


CHAPITRE XV
La question Déroulède

Pendant qu’ils travaillaient péniblement à reconquérir un public qui avait bien d’autres idées en tête que la poésie, et qui s’acharnait à reconstituer la prose de son existence, voici que, à côté de leurs noms encore peu connus, apparaît un nom de plus en plus répété : aux magasins des libraires surgissent des piles de petits

  1. Cette lettre est reproduite en fac simile par M. Berthelot en tête de son livre sur Ménard.