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HISTOIRE DU PARNASSE

quand il eut décidé, en 1886, le directeur du Novoïé Vremia, Katkof, à suggérer, très prudemment, l’idée d’une alliance de l’Empire russe avec une république, on dit, dans l’entourage de Bismarck : — il y a du Déroulède là-dessous[1].

Toute la flamme de son patriotisme a passé dans ses vers, comme dans son éloquence. Sybil, qui ne l’aimait pas pourtant, nous a donné un tableau vivant de son action oratoire, un jour qu’il parlait de la route du Rhin : la voix sonore, brève, la phrase martelée, haletante, les yeux levés, ne se baissant plus, fixés sur l’au-delà, voyant à travers l’espace et les collines la flèche du Munster : spectacle inoubliable[2] ! Inoubliables aussi, les paroles qu’il prononçait en 1913, debout dans une automobile, révélant son rêve suprême : « le vieux crieur de guerre accomplira sa tâche jusqu’au bout… Au jour de la bataille sanglante il ira en automobile, sur la ligne de feu, prendre part avec vous, ô mes jeunes frères d’armes, à la décisive et sainte victoire qui remettra le monde civilisé en équilibre, en replaçant la Prusse en Prusse, l’Alsace-Lorraine en France, et la France dans toute sa splendeur, dans toute son indépendance, et dans toute sa gloire[3] ».

Chaque lecture incline le lecteur dans le sens où penche l’auteur : il était donc bon que la France lût encore Déroulède en 1913. Etait-il aussi utile au pays que, en 1914, l’officier de liaison entre le Grand Quartier Général et le Gouvernement pût citer de mémoire des pages entières d’un écrivain « qui l’inclinait à un doux scepticisme », Anatole France[4] ?

L’enterrement même du héros, « où la vie éclatait jusque dans le trépas », est le dernier acte d’une tragédie où ne manque que le monde officiel, et ses pompes ; dans un article intitulé Déroulède petit-fils de Corneille, Maurice Barrès émet ce regret, ou plutôt ce blâme : « si l’on savait employer les forces de la France,… le Gouvernement prendrait la tête d’un immense cortège national…, et conduirait au Panthéon cet homme-drapeau[5] ». Mais le peuple, qui décerne seul, par sa présence, les vraies funérailles nationales, est là[6]. Place de la Concorde, il y a une minute de silence religieux

  1. J.-J. Tharaud, La Vie, p. 47.
  2. Charles Benoist, Revue Bleue du 2 novembre 1889, p. 546.
  3. J. J. Tharaud, La Vie, p. 199-200.
  4. Jean de Pierrefeu, G. Q. G., Secteur Ier, tome Ier, p. 200.
  5. Écho de Paris du 2 février 1914.
  6. Lavedan, Émotions, p. 108, sqq.