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LE PARNASSE

quand, devant la statue de Strasbourg, s’arrête le cortège[1] ; suivons-le en pensée pour nous rendre compte de la vraie grandeur de l’homme dont on avait mal parlé. Après les obsèques, un de ses amis avise un ouvrier qu’il avait déjà remarqué à Saint-Augustin : « Vous connaissiez Déroulède ? — Je ne lui ai jamais parlé, mais je l’ai vu bien des fois. Il était grand… — Et s’arrêtant comme s’il eût cherché une comparaison, il suivit du regard la fumée de sa cigarette… — grand comme une fumée, ajouta-t-il tout à coup. Je le regardai tout saisi. Cet homme avait trouvé le mot. Grand comme une fumée ! Comme la fumée de nos déceptions, de nos rêves, et de notre invincible espérance[2] ». Grand comme la colonne de fumée qui jadis guidait le peuple élu, et qui nous a conduits à Strasbourg.

Dans cette ville, commençant son cours libre sur le Génie du Rhin, évoquant le souvenir des Strasbourgeois morts dans nos rangs, dont il reconnaît les familles en deuil dans la salle, Barrès prononce la suprême oraison funèbre de Déroulède : « parmi ces morts, qu’il me soit permis de placer le poète patriote qui dévoua totalement sa vie à la préparation morale des âmes à la guerre, et qui ne voulut être qu’un sonneur de clairon pour sonner et sonner sans trêve le ralliement des Français autour de Metz et de Strasbourg, jusqu’à ce que le souffle lui manquât, au matin même de la Revanche qu’il avait prophétisée, et comme au seuil de la Terre promise[3] ».

Il serait fâcheux que la poésie n’apportât pas, elle aussi, son hommage à celui qui avait le culte de la patrie. On voudrait trouver dans Leconte de Lisle une citation qui serait une sorte de réparation ou de réconciliation entre un grand artiste et un grand patriote ; mais il n’y en a pas. Il faut bien la prendre dans Hugo :


Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie.
Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau.
Toute gloire près d’eux passe et tombe éphémère,
                  Et, comme ferait une mère,
La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau[4].


  1. Tharaud, La Vie, p. 242-243.
  2. Id., ibid., p. 257.
  3. R. D. D.-M., 15 décembre 1920, p. 674.
  4. Chants du Crépuscule, p. 37.