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LE DISPERSION

Puis, les deux amants décident de mourir en remplissant leur chambre de roses,


Et leurs derniers soupirs seront pour nous mortels,
Et tu verras, idole amour, vers tes autels
         Toujours adorés quoi qu’infâmes,
Des amants et des fleurs, doux martyrs innocents,
Exhaler, une fois encor, comme un encens,
         Leurs derniers parfums et leurs âmes[1].


Mendès s’enthousiasme, devine un grand talent encore fruste, et se constitue, d’autorité, le mentor, l’animateur de Coppée ; il lui demande de lui montrer tous ses vers : Coppée en apporte six mille ! Sans s’effrayer, Mendès se plonge dans cette masse, et bientôt prononce son arrêt : — Eh bien ! mon cher ami, tout cela est exécrable. Vous êtes admirablement doué, mais vous ne savez pas le premier mot de votre métier. — Apprenez-le moi, répond Coppée, en jetant au feu ses six mille vers. Ils se mettent à la besogne, chaque soir, avec acharnement, lisant les maîtres, étudiant leurs rythmes, leurs rimes[2]. Ils font, comme dit Coppée, « une belle orgie de rimes riches[3] ». Grâce à leur richesse, Coppée oublie sa pauvreté. Mais, dans la compagnie de Mendès, Coppée pourrait oublier autre chose, et gâcher son talent en tombant dans le défaut vers lequel il penche, la sensualité. Nous avons failli avoir un poète érotique de plus, alors que nous en avons déjà trop. Qu’est-ce qu’il lui plaît de chanter alors ? Ses rendez-vous, avec beaucoup de détails :


Je dirai la sombre clarté
De tes yeux où c’est mon délice
De voir pétiller la malice
Et s’attendrir la volupté.

Je dirai la souple encolure
Que j’étreins jusqu’à faire mal,
Et l’enivrement aromal
Que dégage ta chevelure[4]


Ne lisons pas plus avant… Qu’est-ce qu’en pense son sévère mentor, si scrupuleux sur le choix des rimes, si réservé sur l’emploi

  1. Vers d’Amour et de Tendresse, p. 54-59.
  2. Mendès, La Légende du Parnasse, p. 213-215 ; Calmettes, Leconte de Lisle, p. 115-116 ; Coppée, Toute une Jeunesse, p. 147 sqq. ; de Lescure, Coppée, p. 35-36.
  3. Toute une Jeunesse, p. 150. Dans ce roman, sous des noms supposés, Coppée raconte sa vie.
  4. Vers d’Amour, p. 63.