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HISTOIRE DU PARNASSE

des inversions, si délicat sur la nuance d’une épithète ? Mendès estime que, dans ses confidences à la Catulle, « François Coppée demeure exquis, délicat, ailé, vraiment poète en un mot ; son vers s’arrête volontiers aux minuties savantes du délice ; mais c’est comme un vrai papillon… Il garde, au battement de ses ailes, du vrai parfum, du vrai espace, et un peu d’infini[1] ». Mendès, qui enseignait brillamment à Coppée les règles de la métrique, ne pouvait lui apprendre les lois de la morale : c’était un article qu’il ne tenait pas. Il était bon que Coppée se mît à une autre école ; et qu’il y trouvât des conseillers aussi sévères que Sully Prudhomme.

Le Parnasse l’attire, et en même temps l’inquiète. L’esthétique nouvelle qui se révèle à lui l’effarouche, du moins si nous en jugeons par ce qu’il en dira beaucoup plus tard : « leurs théories, je dois le dire, ne m’avaient pas bien convaincu. Tout Parnassien que je fusse, puisque j’étais du Parnasse ; il me semblait, au fond du cœur, que l’impassibilité et la bizarrerie ne valaient pas l’émotion et le naturel ; que quiconque souffrait avait bien le droit de se plaindre, et qu’on pouvait certainement découvrir dans les choses les plus familières un grain de poésie et d’idéal… La tulipe la plus extraordinaire ne vaudra jamais pour moi le bouquet de violettes de deux sous[2] ». Ici, il prête à sa jeunesse une opinion de sa maturité, car, au début, il est vraiment sous le charme. Disant des vers dans une soirée mondaine, il est présenté « au célèbre poète Leroy des Saules (alias Leconte de Lisle) qui le félicite d’un mot juste, et l’invite paternellement à le venir voir[3] ». Il ne résiste pas à la bonté, à l’autorité du Maître : « vers 1866 mes camarades et moi nous allions, tous les samedis soirs, chez Leconte de Lisle, comme les Croyants vont à la Mecque ». La comparaison fait fortune, et devient le mot d’ordre des Parnassiens[4]. Le jeune fanatique écoute avec dévotion les lectures, surtout quand c’est le Maître qui lit : il scrute sa diction, il analyse son action poétique ; il décrit de façon saisissante, nous l’avons vu, la transformation qui s’opère dans la figure de Leconte de Lisle[5]. Il admire le poète, mais il n’imite pas sa facture[6]. Il fait mieux : il apprend du maître à réaliser la perfec-

  1. Rapport, p. 125.
  2. Souvenirs d’un Parisien, p. 153.
  3. Toute une Jeunesse, p. 205.
  4. Leblond, Leconte de Lisle, p. 338 ; Huret, Enquête, p. 310.
  5. Mon Franc-Parler, III, 66.
  6. {{sc|Thieme}, The Technique of the French alexandrin, p. 38-39.