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LE DISPERSION

Peu à peu France est devenu une des gloires du Parnasse. À distance, jugeant l’École dans le recul de ses souvenirs, Calmettes l’aperçoit « à côté de Leconte de Lisle, et le premier du Parnasse après le maître[1] ». Il a quitté la chaise sur laquelle, au début, il s’incrustait, silencieux ; sans doute, il n’a pas encore conquis l’élégant prestige qui viendra plus tard ; sa tête est désagréable à regarder, tant elle est lourde et retombante : un nez interminable s’incline sur une barbe mal taillée qui prolonge toutes les lignes descendantes de la figure[2] ; sa démarche, remarque Mlle Breton, est un peu « celle des oiseaux de marais appelés échassiers » ; mais enfin, il marche dans le salon, il va de groupe en groupe, il pérore, il pontifie, soulignant chaque idée importante par un mouvement spécial de la main droite, le pouce et l’index joints[3]. On l’écoute ; il devient un centre. Il dirige maintenant un groupe dont les membres principaux sont Frédéric Plessis et Paul Bourget[4]. Ce dernier lui rend un hommage précis qui donne la date de l’avènement d’A. France : « je l’ai connu, un peu après la guerre de 70, tout jeune, et accepté déjà par ses cadets comme un maître. C’était exactement en 1873[5] ».

Cette prééminence date de son envoi au Parnasse de 1869, qui comprend seulement deux pièces, mais remarquables toutes deux. La Danse des Morts est curieusement sculptée, ironique sans excès, quoiqu’elle reproduise la grande ironie macabre. Le poète antireligieux des Noces Corinthiennes a encore des mots de croyant : sans doute cette danse est lugubre : elle aboutit à la géhenne :


Oui, mais dans cette nuit étalée au grand jour
On sent l’élan commun de la pensée humaine,
On sent la foi profonde, — Et la foi, c’est l’amour !


Le matérialiste conclut :


Oh ! bienheureux ceux-là qui croyaient à l’Enfer[6] !


La seconde pièce, La Part de Magdeleine, était déjà célèbre avant de paraître au Parnasse : elle avait été déclamée par Agar à l’an-

  1. Leconte de Lisle et ses Amis, p. 304.
  2. Michel Corday, A. France d’après ses Confidences, édition illustrée, p. 16-17.
  3. Mme Demont-Breton, II, 130 ; M. Corday, Anatole France, p. 55-56.
  4. Calmettes, p. 307.
  5. Quelques Témoignages, p. 149-150.
  6. Parnasse de 1869, p. 147 ; Poésies, p. 108.