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HISTOIRE DU PARNASSE

du vol de la gazelle[1]. Sentant ce qui lui manque, il cherche à se mettre à bonne école. Il fréquente le Café du Gaz, rue Rivoli, où il rencontre Lafenestre, Valade, Mérat ; avec eux il cause prosodie. On lui raconte ce qui s’est passé au dernier samedi de Leconte de Lisle[2]. Puis, il est admis chez Alphonse Lemerre ; dans un sonnet il célèbre le passage Choiseul, et les triomphes immortels de Coppée :


Moi, ma gloire n’est qu’une humble absinthe éphémère.
Prise en catimini, crainte des trahisons,
Et si je n’en bois pas plus, c’est pour des raisons[3] !


Nulle part il ne passe inaperçu, avec son visage étrange. Les femmes, instinctivement, l’aiment peu : l’une d’elles prétend qu’il ressemble à un orang-outang échappé du Jardin des Plantes[4]. Par contre, Laurent Tailhade trouve qu’il est « d’une laideur magnifique et surprenante, d’une laideur à la Socrate, populacière et divine, avec son beau crâne pareil à la coupole d’un temple, son front dévasté par le génie et la souffrance[5] ». Au début, il est modeste, et se pose simplement en disciple : il admire Mendès et sa Philoméla, Banville et ses Stalactites, surtout les Flèches d’Or de Glatigny ; il imite Coppée ; il l’imitera même longtemps[6]. Il s’initie peu à peu au milieu, il le célèbre dans sa « Ballade en vue d’honorer les Parnassiens » :


Ils marchaient droit dans la stricte observance,
Les chers, les bons, les braves Parnassiens[7].


Il a presque toutes leurs convictions, sauf sur un point : il est cocardier, au point de rejeter a priori toute esthétique venue d’Allemagne[8]. Pour le reste, il est bien de la stricte observance : il aime à se griser avec le philtre des mots ; il aime à afficher la plus complète impassibilité[9]. Comme eux, il écrit à Hugo des lettres dévotieuses, et comme eux il se moque de lui dans les causeries de

  1. E. Lepelletier, Verlaine, p. 157, 158.
  2. Id., ibid., p. 97-98.
  3. Œuvres, III, 91.
  4. Lepelletier, Verlaine, p. 88.
  5. Quelques Fantômes, p. 7.
  6. Œuvres, p. 83, 84, 93 ; René Jasinski, Figaro du 2 août 1924.
  7. Œuvres, III, 87-88.
  8. Ibid., V, 337-338 ; Huret, Enquête, p. 67.
  9. Delahaye, Verlaine, p. 379-380 ; Lepelletier, Verlaine, p. 147, 148, 160.