Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
393
LE DISPERSION

Coppée il découvre la veine des Humbles. Le début de La Soupe du Soir est vraiment puissant :


Il fait nuit dans la chambre étroite et froide où l’homme
Vient de rentrer, couvert de neige, en blouse, et comme
Depuis huit jours il n’a pas prononcé deux mots,
La femme a peur et fait des signes aux marmots[1].


Nulle défaillance poétique : on dirait qu’en même temps qu’il se penche vers la réalité, il a le sens plus exact et plus artistique de la couleur. Il y a, dans Les Vaincus un petit coin de nature qui est un chef-d’œuvre :


C’est l’aube ! Tout renaît sous sa froide caresse.
De fauve, l’Orient devient rose, et l’argent
Des astres va bleuir dans l’azur qui se dore ;
Le coq chante, veilleur exact et diligent ;
L’alouette a volé stridente ; c’est l’aurore[2] !


C’est presque la sobriété classique des tableaux de La Fontaine, et c’est en même temps un chatoîment de couleurs, de nuances exactes. Les Parnassiens doivent se dérider. Leconte de Lisle peut voir dans le sonnet Sur le Calvaire la preuve que Verlaine admire fort son Corbeau : après la mort de Jésus, le bon larron s’adresse à son complice :


Compagnon, que dis-tu de tout ceci ? — Moi ? Rien,
Répondit le mauvais larron ; Rien, âme molle,
Rien, ô cerveau chétif qu’un tel prodige affole,
Sinon qu’en pendant là cet homme, l’on fit bien.

Un coin du ciel s’ouvrit soudain comme une porte,
Et la foudre s’en vint brûler l’audacieux
Qui hurla, puis reprit : « On a bien fait, n’importe ».

Un corbeau qui passait lui creva les deux yeux,
Et vers ses pieds mordus se dressait une louve ;
Mais l’obstiné cria : « Qu’est-ce que cela prouve ? »


Verlaine, qui n’est pas encore touché de la grâce, semble éprouver une sympathie à la Leconte de Lisle pour le révolté. Malgré toutes ces affinités avec le Parnasse, et tout en s’y plaisant pour son compte, Verlaine sent qu’il déplaît. Sauf Coppée qui lui est amical, et qui lui restera fidèle jusqu’au bout, sauf encore Dierx, il n’a pas

  1. Œuvres, I, 371.
  2. Œuvres, I, 375. Le poème ne comprend, au Parnasse, que dix strophes ; il est complet
    dans les Œuvres.