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XXXVII
INTRODUCTION

admirable peinture du débordement des Antilles, à la fois cataracte, avalanche et ouragan !…[1] ».


Fit-il pas mieux que de se plaindre ?


Le pire c’est que L. de Lisle n’est pas adouci par la débonnaireté inattendue de Hugo ; il récidive, gardant son ironique indépendance même dans des conversations philosophiques avec Olympio : « Que dirai-je à Dieu, lui demande un jour Victor Hugo, quand nous nous rencontrerons face à face ? — Eh ! c’est bien simple ! Vous lui direz : — Mon cher confrère[2] ». L’autre, naturellement, n’est pas en reste ; quelque temps après que Leconte de Lisle avait publié sa traduction d’Eschyle, Hugo recevait à sa table quelques parnassiens ; il profite d’un silence pour émettre cette insinuation : « Je consacre toutes mes matinées à revoir les grands poètes grecs. J’ai passé celle d’aujourd’hui dans la lecture d’Eschyle qui n’a jamais été traduit en français ». Puis, il regarde fixement les disciples de Leconte de Lisle, qui se taisent, et qui sont récompensés de leur silence six mois après ; le traducteur d’Eschyle s’étant résigné à faire une visite Avenue d’Eylau, est invité à dîner, avec les mêmes parnassiens, et ils ont la joyeuse surprise d’entendre Hugo revenir sur le même sujet : « Mon cher confrère, je dois vous dire que je passe, tous les jours, une bonne heure de ma matinée dans la compagnie d’Eschyle, dans la vôtre par conséquent[3] ». Officiellement les relations sont affables ; il faut bien faire quelque chose pour la galerie[4]. Mais le cœur n’y est pas. Quand Hugo relit son doux Virgile, il peut y trouver l’histoire de leurs relations :


                             Manet alta mente repostum
Judicium Comitis, spretœque injuria jormœ.
            … Tantæne animis cœlestibus iræ !


Ils se détestent. Hugo ne trouve pas en Leconte de Lisle un thuriféraire : il a donc pour lui les sentiments d’un dieu pour un rebelle. Mais d’où vient l’animosité de L. de Lisle ? Calmettes prétend que c’était jalousie de métier, envie d’inférieur[5]. L’envie

  1. P. p. Louis Barthou, Revue hebdomadaire, 2 mars 1912, p. 42-43. Antilles dut faire sourire le créole de Bourbon.
  2. Laurent Tailhade, Les Commérages de Tybalt, p. 182.
  3. Calmettes, Leconte de Lisle, pp. 320, 321, 317.
  4. Cf. mon Histoire du Romantisme, II, 291-292.
  5. Leconte de Lisle, p. 106.