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LE DISPERSION

met sous l’égide de Leconte de Lisle, qu’il lui dédie, dans La Vie inquiète, une pièce sur la désespérance,


Car vous portez au front, comme un signe fatal,
Quelque chose de triste et de sacerdotal[1]


Il se pose même en défenseur du Maître contre les sottes calomnies :


Ils vous ont reproché vos grands vers impassibles
Et beaux de la beauté des monts inaccessibles.
Ils ont dit : « Il n’a pas souffert autant que nous ».
Ô maître, laissez-moi leur répondre pour vous[2].


Et il le compare à la tour des Pârsis, près de Bombay, où les vautours dépècent les cadavres des fidèles ! Leconte de Lisle goûte peu la comparaison, car il traite son jeune disciple avec une certaine négligence[3]. Dans l’entrevue qu’il accorde à Huret, il considère Bourget comme un esprit ingénieux, mais surchauffé, meilleur critique que romancier ; il ne souffle pas mot du poète[4]. Banville lui conteste tout sens de l’harmonie, et, avec une dureté rare chez lui, le définit : un sourd en poésie[5]. Heredia, qui est son ami, ne dit rien de ses poésies ; Coppée se rappelle vaguement que Bourget a fait, dans le temps, des vers très distingués[6]. Il doit y avoir quelque chose, et en effet, voici ce quelque chose : négligé ou rudoyé au Parnasse, Paul Bourget fonde, avec Richepin et Ponchon, le groupe des Vivants : c’est la première chapelle bâtie pour faire concurrence au temple parnassien[7]. C’est le commencement du mouvement régionaliste. Son siège social est un petit café d’artistes près de l’Odéon : « dans notre ardent cénacle littéraire, dit M. Paul Bourget, on commençait d’apprécier la saveur que donne à l’œuvre d’art ce que j’oserai appeler le goût du terroir. La perfection technique de l’École du Parnasse nous infligeait trop souvent l’impression du factice et de l’artificiel[8] ». Excellent camarade, Bourget groupe autour de lui quelques jeunes, très vivants en effet[9]. C’est

  1. Poésies, p. 165.
  2. Poésies, p. 169.
  3. Calmettes, p. 166.
  4. Huret, Enquête, p. 285-286.
  5. Calmettes, p. 165.
  6. Huret, Enquête, p. 312, 317.
  7. Id., ibid., p. 369 ; Goudeau, Dix ans de Bohème, p. 33-34.
  8. Débats du 27 novembre 1925, ou Quelques Témoignages, p. 244.
  9. Goudeau, Dix ans, p. 60.