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HISTOIRE DU PARNASSE

raire[1]. On peut dire avec vérité que la fin de sa vie est une ascension vers la sérénité. Son irréligion même s’est peut-être atténuée[2]. Là-dessus du reste on discute : Maurice Barrès proclame que le poète a enseigné la désespérance définitive[3]. La confidente de ses dernières pensées affirme au contraire que sa foi au néant n’était plus aussi ferme dans les derniers mois ; elle s’appuie sur Le Sacrifice qu’il composa l’année même de sa mort. Mais d’abord ce poème n’a pas paru de son vivant, et cela diminue sa valeur comme manifestation de doctrine[4]. Puis il faut le bien comprendre :


Rien ne vaut sous les cieux l’immortelle Liqueur,
Le Sang sacré, le Sang triomphal, que la Vie,
Pour étancher sa soif toujours inassouvie,
Nous verse à flots brûlants qui jaillissent du cœur

Domptant la chair qui tremble en ses rébellions,
Pour offrir à son Dieu sa mort expiatoire,
Le Martyr se couchait, sous la dent des lions,
Dans la pourpre du sang comme en un lit de gloire.

Mais si le ciel est vide et s’il n’est plus de Dieux,
L’amère volupté de souffrir reste encore,
Et je voudrais, le cœur abîmé dans ses yeux,
Baigner de tout mon sang l’autel où je l’adore[5].


C’est un acte de foi, dit Jean Domis ; de foi à quoi ? à une chimère. C’est sur un autel mort qu’il parle d’offrir sa vie : intellectus quœrens fidem ! Tout ce que l’on peut affirmer, c’est que, dès 1872, le dernier mot de sa philosophie religieuse n’est plus une négation désespérée, mais un doute qui hésite à devenir un espoir :


Lumière, où donc es-tu ? Peut-être dans la mort[6].


Quant au dernier mot de sa philosophie de l’histoire religieuse, il est dans sa pièce posthume, La Mort du Moine : il y a là un effort d’impartialité, presque de sympathie pour le Dominicain martyrisé par les Cathares[7]. Mais si l’on veut à toute force trouver une

  1. Robert de Montesquiou, Carnets Intimes, dans Les Nouvelles Littéraires du 21 juillet 1928 ; Derniers Poèmes, p. 67 ; Mme Demont-Breton, II, 138 ; Huret, Enquête, p. 283.
  2. Dornis, R. D. D.-M., 15 mai 1895, p. 336-337. 339.
  3. Amori et Dolori Sacrum, p. 265-266 ; cf. Elsenberg, Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, p. 239.
  4. Dornis, les Débats du 22 avril 1909 ; R. D. D.-M., 15 mai 1895, p. 339-340.
  5. Derniers Poèmes, p. 80-81.
  6. Poèmes Barbares, p. 238.
  7. Derniers Poèmes, p. 35 ; R. D. D.-M., décembre 1894, p. 695.