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LA PERSISTANCE DU PARNASSE

CHAPITRE II
Le symbolisme et le Parnasse

La mort de Leconte de Lisle met-elle fin au Parnasse ? Verhaeren l’affirme, parce qu’il le souhaite : « les portes du temple élevé en l’honneur des vers à rime et à mesure fixe sont fermées, etc.[1] ». À un moment, croyant avoir ville prise, les symbolistes multiplient les formules dérisoires : ils parlent de la lassitude intellectuelle de leurs adversaires, du faire ossifié du Parnasse[2]. Pour eux, l’art parnassien est « une étoffe raidie par les brocarts et les orfrois, alourdie par les cabochons, et telle que peut l’aimer un roi barbare. Quelle différence avec la gaze légère, ondoyante, modelée comme une caresse sur la hanche harmonieuse d’une Vénus grecque ; l’une étonne, éblouit, mais l’autre, flottante, aérienne, laisse voir la pure beauté[3] ». Le couplet est bien joli ; mais est-ce la vérité ? Le symbolisme a-t-il triomphé du Parnasse[4] ? A-t-il vaincu Leconte de Lisle ? Il l’a beaucoup raillé[5]. Il a même détaché de lui quelques lettrés[6]. Mais enfin, il y a des faits contraires, et d’abord celui-ci : le Symbolisme se réclame de trois maîtres : Mallarmé, Verlaine, et Villiers de l’Isle-Adam ; or, les deux premiers se sont formés au Parnasse, et le troisième est un vrai Parnassien[7]. Albert Samain qui, incontestablement, est une gloire du Symbolisme, procède de Leconte de Lisle[8]. Quand on lit le Sphinx du Chariot d’Or, ne croit-on pas entendre le Maître du Parnasse ?


Accroupi sur l’amas des siècles révolus,
Immobile au soleil, dardant ses seins aigus,
Sans jamais abaisser sa rigide paupière,
Il songe, et semble attendre avec sérénité
L’ordre de se lever sur ses pattes de pierre
Pour rentrer à pas lents dans son éternité[9].


  1. Impressions, p. 98-101.
  2. Poizat, Le Symbolisme, p. 40-41 ; Souza, in H. Bremond, Poésie pure, p. 211.
  3. A. Boschot, Chez nos Poètes, p. 80.
  4. Bremond, Poésie pure, p. 87 ; cf. Gourmont, Promenades, II, 57.
  5. Francis Jammes, Mémoires, II, 56-57 ; L. Tailhade, Les Commérages, p. 289 ; Faguet, R. D. D.-M., 15 janvier 1913, p. 399.
  6. Cf. Émile Male, à l’Académie, 28 juin 1928.
  7. Marcel Coulon, Témoignages, III, 317-318 ; Charles Morice, dans Huret, Enquête, p. 89.
  8. Cf. Ch. Maurras, Barbarie et Poésie, p. 228.
  9. G. Bonneau, Albert Samain, poète symbolique, p. 112.