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HISTOIRE DU PARNASSE

En somme, au lieu d’attaquer le chef du Parnasse, le Symbolisme eût été plus habile en saluant en lui un précurseur ; dès avril 1846, Leconte de Lisle publie, en effet, le plus symboliste des contes, La Mélodie Incarnée : un musicien, Samuel Klein, voit apparaître devant lui une femme mystérieuse ; c’est l’incarnation de la mélodie qu’il vient de créer sur son stradivarius. Le narrateur conclut ainsi : « beaucoup de prétendus artistes, barbouilleurs de notes, de vers et de couleurs, maçons et tailleurs de pierre…, riraient bien s’ils m’entendaient : — dans le monde de l’art, les diverses manifestations de la beauté sont unies par des liens étemels[1] ». À défaut de Leconte de Lisle les symbolistes cherchent à s’annexer Louis Ménard : Francis Viélé-Griffin le croit père du symbolisme parce qu’il a dit : « les dogmes s’énoncent en symboles[2] ». C’est jouer sur le mot, ou faire un contre-sens. Louis Ménard est aux antipodes du symbolisme. Ils se rejettent sur Dierx, qui est plus voisin ; ils le mettent à part des autres parnassiens[3]. Ils déclarent que ses vers sont « évocateurs par leur seule sonorité, indépendamment de leur signification précise » ; qu’il est, avec Verlaine et Mallarmé, l’anneau qui joint le Parnasse à la nouvelle École[4]. En langage un peu hermétique, comme il sied, Rodenbach lui délivre un certificat de symbolisme : « M. Dierx est un noble visionnaire qui marche dans l’atmosphère authentique de ses songes[5] ». Mais, parce qu’il a déposé une palme assez joliment ciselée sur la tombe de Verlaine ; parce que, après la mort de Mallarmé, il a chanté son souvenir à Valvins, cela ne veut pas dire que Dierx a trahi la mémoire de son grand ami, ou déserté l’École Parnassienne[6]. Le Symbolisme en est pour ses avances. Les Parnassiens restent sur leurs positions. De toutes les ripostes de ses disciples à ses ennemis, celle que Leconte de Lisle eût préférée est certainement la page violente où Maurice Barrès exprime son dégoût pour les décadents ; il apprend l’assassinat de l’Impératrice d’Autriche, par Luccheni, dans une salle de rédaction où figurent quelques esthètes ; l’un d’eux déclare, avec autorité, que « en somme Luccheni était infini-

  1. Contes en prose, p. 70.
  2. Tombeau de Louis Ménard, p. 183 ; cf. Berthelot, Louis Ménard, p. 30-31.
  3. R. de Gourmont, Promenades, V, 54.
  4. Derieux, Mercure de France, 16 janvier 1912, p. 240 ; Noulet, Dierx, p. 209, 211-213.
  5. Revue Bleue, 4 avril 1891, p. 423 ; cf. Gustave Kahn, Un précurseur : Léon Dierx, dans Les Nouvelles Littéraires du 13 avril 1929.
  6. Poésies Posthumes, p. 5-6 et 3.