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LA PERSISTANCE DU PARNASSE

Le coup porte si droit que certains se sentent atteints, se fâchent, et répliquent par des injures : l’auteur des Déliquescences n’est plus pour eux que le représentant de l’École de l’Apéritif[1]. La brutalité de la riposte prouve simplement que la blessure reçue était profonde. Vicaire a été à bonne école, à l’école de Coppée. Celui-ci s’entend à dégonfler les ballons. Un jour, Zola défend devant lui les symbolistes : — Comment, maintenant, vous, Zola, vous vous occupez de la couleur des voyelles[2] ! » Suivant son habitude, il cache dans une plaisanterie une réflexion qui va loin : il n’admet pas un duel entre Leconte de Lisle et Anatole France ; pourquoi ? parce que l’enjeu n’en vaut pas la peine : « Et tout cela, pour un mouvement moldo-valaque où il n’y a que des Suisses, des Belges, des Russes, des Yankees, et un Grec en rigolade[3] ! » Cette boutade est peut-être le coup le plus dur qu’ait reçu le Symbolisme. Pour juger l’importance de cette école qui prétendait réformer la poésie française, il suffirait de donner la liste de ses tenants : les noms français y sont rares. La « blague » de Coppée est bonne française, et bonne personne : aucune amertume ; un vif désir de reconnaître le talent partout, même chez les adeptes du Symbolisme. C’est lui qui lance Samain ; dans le même article il est presque aimable pour les autres symbolistes, « jeunes esprits qui s’abandonnent à la récente évolution de la poésie, et ne prétendent mettre dans leurs vers que des sensations, du rêve et de la musique[4] ». Les suivants de Moréas ont beau lui témoigner leur haine, leur dégoût ; lui, il les juge, il s’efforce de les comprendre, et, avec une parfaite bonne foi, il cherche à mettre en lumière les vrais mérites. Son article sur Pierre Louys reste fameux : en une matinée il fait d’un inconnu une célébrité. Les symbolistes commencent à se demander s’ils ne se sont pas trompés sur son compte, et si, au lieu d’être une ganache parnassienne, Coppée ne serait pas quelqu’un[5].

Pourtant le véritable agent de liaison entre le Parnasse et le Symbolisme, c’est, chose inattendue, Heredia. Lui qui a reçu de Leconte de Lisle en héritage l’art rigide et hiératique, il est pourtant popu-

  1. Laurent-Tailhade, Quelques Fantômes, p. 17-19 ; Clément Vautel et G. de la Fouchardière ont imaginé une parodie plus violente des Symbolistes dans Monsieur Mésigue, p. 121.
  2. Goncourt, Journal, VIII, 257.
  3. Bergerat, Souvenirs, II, 167.
  4. Monval, Correspondant du 25 août 1925, p. 529, 530.
  5. C.-H. Hirsch, Mercure de France, Ier juillet 1925, p. 213.